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« Tatyana » de Deborah Colker

Disons-le d’emblée, le Tatyana de Deborah Colker n’a rien à voir avec le Onéguine de John Cranko que l’on a souvent vu au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. En effet, la chorégraphe brésilienne s’intéresse moins au lyrisme narratif qu’à l’expression poétique produite par les vers de Pouchkine. C’est également pourquoi il vaut mieux connaître le roman Eugène Onéguine pour comprendre Tatyana, car Deborah Colker a choisi de disséminer chaque rôle (Tatyana, Olga, Lenski, Onéguine) en les faisant interpréter chacun par quatre danseurs et en ajoutant deux Pouchkine, dansés respectivement par un grand blond avec un costume noir et Deborah Colker elle-même. (On remarquera au passage qu’un programme identifiant les danseurs n’aurait pas été un mal).

Au centre du plateau, un arbre stylisé avec des feuilles en forme de livres, sera une sorte d’agrès permettant à la chorégraphie toutes sortes d’audaces acrobatiques, et symbolisera toutes les ramifications psychologiques du roman. Car il s’agit bien d’une sorte de stylisation géométrique poussée jusqu’à l’abstraction. C’est pourquoi, sans doute, Deborah Colker ne s’attarde pas trop sur des principes narratifs. Une plume noire signale le moment où Tatyana écrit sa fameuse lettre à Onéguine, le claquement sec d’un éventail représente la rage de Lensky puis le coup de feu qui lui est fatal, des gants blancs et un voile, la femme mariée qu’est devenue Tatyana. De même, la musique ne reprend rien de l’opéra mais mixe des œuvres de Tchaïkovski, Prokofiev et Stravinsky ainsi que le 2e concerto pour piano de Rachmaninoff.

La gestuelle, on l’a dit, est athlétique. Les danseurs se lancent de la structure de bois, se suspendent, s’étirent à l’extrême en s’accrochant aux « branches ». On ne compte plus les « six o’clock » (selon le terme consacré par Sylvie Guillem), les sauts à l’écart et même retombés sur pointe, les manèges de grand jetés en tournant ahurissants, en lancés de partenaires féminines dans le vide.

Le deuxième acte est un peu plus serein. Ouvrant sur huit Tatyana identiques, voilées, en tunique et gants blancs, posées sur un praticable en hauteur, on ne rate pas le clin d’œil à La Bayadère 3e acte. La chorégraphie se concentre sur un long pas de deux entre un des Onéguine et la Tatyana principale, une belle plante tout en jambes. Les pirouettes dominent et la gestuelle se fait plus sinueuse.

Certes, on est un peu loin de la Russie éternelle et l’on se dit que Deborah Colker n’a pas été recrutée par le Cirque du Soleil, ou pressentie pour chorégraphier les JO 2016 par hasard. Faut-il pour autant condamner l’hyper virtuosité de ses danseurs ? Certainement pas. Et même si nous n’y sommes pas habitués sous nos latitudes, le public, quant à lui, y a trouvé son compte.

Agnès Izrine

27 novembre 2015, Festival de Danse de Cannes, Palais des Festivals-Théâtre Debussy

 

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