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Tanztheater Wuppertal Pina Bausch : « Sweet Mambo »

Sweet Mambo pose la question de danser un répertoire ancré dans son époque, face à l’épreuve du temps

Sweet Mambo, créé à Wuppertal en juin 2008, est la dernière pièce de Pina Bausch donnée à Paris de son vivant au Théâtre de la Ville en 2009. Sorte de parenthèse dans la deuxième partie de son œuvre qui, depuis Palermo Palermo (1989), et jusqu’à como el muguito en la piedra, ay si, si, si… (sa toute dernière œuvre de 2009), inspirée d’un séjour au Chili, se voulaient des carnets de voyage de créations en résidence dans des pays étrangers, Sweet Mambo faisait exception. Comme un moment où l’on pose ses bagages. Et on réfléchit. Ou on disparaît. Sweet Mambo, n’est ni « sweet » ni « mambo ». La musique est même tout à fait étrange dans l’œuvre de Pina Bausch, qui nous avait fait entendre de la musique savante couplée à des chants populaires du passé ou du lointain. Là, le propos baigne dans une sorte de variété (au double sens du terme) un peu soft, et pas un rythme de mambo à l’horizon.

Galerie photo : Laurent Philippe

Quant au côté sweet (doux), il n’existe pas non plus. C’est même un déferlement d’agressivité voire de théâtre de la cruauté, mais très différent de celui des premiers opus de la chorégraphe, comme si les rapports hommes/femmes, loin d’être apaisés pour autant, étaient cependant mis à distance pour mieux les observer – ou les caractériser.

Comment se remettre dans le bain de 2009 ? C’est, en réalité, impossible Les nouveaux interprètes Nayoung Kim, Reginald Lefebvre et la merveilleuse Naomi Brito, n’ont jamais connu Pina Bausch. Les interprètes d’origine ont vieilli Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Aida Vainieri, Andrey Berezin et Daphnis Kokkinos sont arrivés il y a fort longtemps dans la compagnie. Nazareth étant même arrivée en 1979 !

Galerie photo : Laurent Philippe

L’image qu’ils produisent amène sinon un tout autre sens, au moins une altération de celui-ci. Comme le rapport à la mort que soulignent ces grands voiles blancs sur lequel est projeté un film de 1938 (Le Renard bleu de Viktor Tourjanski). Indéniablement, il y a de l’adieu dans l’air. Comme en témoigne également le solo de fin de Julie Shanahan, avec ses grands ports de bras, ourlés, d’une fluidité si caractéristique de toute l’œuvre bauschienne. Une signature ? Presque un testament, surtout quand la dernière phrase n’est autre que « n’oubliez pas ».

Galerie photo : Laurent Philippe

Et surtout l’époque a tellement changé ces quinze dernières années. Entretemps, il y a eu notamment tout le mouvement #metoo, qui nous fait regarder les cris de ces femmes et la façon dont elles sont traitées d’un autre œil. L’une est tirée par les cheveux, l’autre hurle « Let me go », la troisième manipulée par ses bretelles, une autre se jette elle-même des seaux d’eau à la figure… En 2009, on parlait encore de « masochisme » ou d’ « hystérie » de la gent féminine. Et même si les hommes de cette pièce sont bien falots, à côté de ces femmes qui submergent la scène de leurs présences, on ne peut que regarder bizarrement ces rapports entre les sexes, encore parfois même teintés de « séduction » ou de « sensualité ». Et l’on ne peut que saluer au passage le travail du chorégraphe norvégien Alain Lucien Øyen qui a su à la fois réactiver le souvenir de ses interprètes d’origine, et les réactualiser par petites touches bien posées.

Galerie photo : Laurent Philippe

Cette chorégraphie de Sweet Mambo, plus marquante dans la deuxième partie de la pièce comme toujours – la première étant à la fois plus théâtrale et plus séquencée, la deuxième étant une sorte d’inconscient de la partie précédente – est une sorte de catalogue du répertoire de Pina Bausch, tout en bras et en volutes du corps qui se tord et se ploie, comme autant de roseaux pensants dans leurs robes de bal d’un autre âge. En 2008, Sweet Mambo était déjà un hommage à ses interprètes. En 2024, c’est d’autant plus le cas, mais c’est aussi l’occasion de découvrir la nouvelle génération du Tanztheater de Wuppertal, aujourd’hui dirigé par Boris Charmatz, avec notamment Naomi Brito, danseuse exceptionnelle, que l'on n'est pas prêt d'oublier… justement !

Agnès Izrine

Vu le 23 mai 2024, Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt. Jusqu’au 7 mai 2024.

 

Distribution
Mise en scène & chorégraphie Pina Bausch
Décor & vidéo Peter Pabst Costumes Marion Cito Collaboration musicale Matthias Burkert, Andreas Eisenschneider Collaboration Marion Cito, Thusnelda Mercy, Robert Sturm Assistante décor Gerburg Stoffel Assistante costumes Svea Kossak Direction artistique de la recréation Alan Lucien Øyen Direction des répétitions Azusa Seyama, Robert Sturm Musique Barry Adamson, Trygve Seim, Gustavo Santaolalla, Hope Sandoval, Portishead, Lucky Pierre Hazmat Modine, Jun Miyake, Mecca Bodega, Cluster & Eno, Lisa Ekdahl, Mari Boine, René Aubry, Mina Agossi, Ian Simmonds

Avec Andrey Berezin, Naomi Brito, Daphnis Kokkinos, Alexander López Guerra / Reginald Lefebvre, Nazareth Panadero, Héléna Pikon, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Aida Vainieri (invités)

Direction artistique Tanztheater Wuppertal Pina Bausch + terrain Boris Charmatz

L’extrait du film Der Blaufuchs (Le Renard bleu), 1938, UFA / Mise en scène: Viktor Tourjansky Scénario: Dr. K.B. Külb, a été aimablement mis à disposition par la Friedrich-Wilhelm-Murnau Stiftung, Wiesbaden.

Crée le 30 mai 2008 à la Schauspielhaus / Wuppertal.

 

 

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