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« Sur le Carreau » d’Yves-Noël Genod

Festival Faits d'hiver : La création d’Yves-Noël Genod, Sur le Carreau, a réuni fin janvier une centaine de danseurs, amateurs et professionnels mélangés, qui se sont produits masqués devant un public restreint.

Genod dit s’être inspiré des mises en scène de Klaus Michael Grüber et du principe qui consiste à transformer la répétition en représentation unique, casuelle, impromptue. Ouverte à l’aléatoire, à l’expérimental, faisant la part belle à l’improvisation. L’« ici et maintenant » propre au théâtre comme à la danse ne saurait être transmis par une captation à distance relevant du télétravail ; il a paru essentiel ou ontologique de maintenir le contact direct entre les interprètes et la salle. Grâce à quoi la pièce n’est pas mort-née. Le spectacle n’est pas « resté sur le carreau » et la première n’a pas été reportée comme le fut celle du ballet Relâche, au titre assez ambigu. Le spectacle a pu continuer.

Plus question, en l’état des choses, de substituer à ce dernier sa répétition, son esquisse, son ébauche. Il faut bien reconnaître que, tant par sa durée que par sa structure, la pièce fonctionne pleinement. Elle est agréable à voir – sans doute aussi à exécuter. On n’y trouve trace de critique politique (= de type situationniste) associant le spectacle à la corruption de l’art. Il faut dire que la gigantesque halle, jadis réservée aux marchands du Temple, a été détournée depuis peu en espace polyvalent faisant la part belle aux foires, mais aussi aux expositions et autres événements culturels.

Ici, on ne note aucune contestation esthétique, comme purent l’être The Rehearsal (1671), une pièce de théâtre signée du duc de Buckingham ; Prova d’orchestra (1978) de Federico Fellini, mise en abyme du film par la télévision (la répétition virant au happening et à la révolte des artistes interprètes) ; Generalprobe (1980) de Werner Schroeter, dévoilement des coulisses du Tanztheater bauschien et portrait du danseur butô Kazuo Ôno qui importa en France (avec Carlotta Ikeda) l’invention de Tatsumi Hijikata.

Sur le Carreau n’est pas une animation culturelle de plus, quand bien même sa réalisation implique la participation bénévole de danseurs amateurs soutenus par quelques tuteurs professionnels, suivant une logique qu’on pourrait qualifier de « MPAA » – d’après l’acronyme de la Maison des pratiques artistiques amateurs de la Ville de de Paris qui cherche à soutenir, valoriser et encourager l’activité artistique dans divers domaines en organisant spectacles et ateliers, séminaires et rencontres.

Ces démonstrations collectives ne datent certainement pas d’hier, qui ont pour origine les manœuvres militaires, les défilés de masse, les manifestations inaugurant les J.O. – cf. la cérémonie d’ouverture de sinistre mémoire des jeux de Berlin de 36 (à laquelle contribuèrent Laban, Wigman et Palucca) ou celle, réjouissante, des J.O. d’hiver de 92 d’Albertville émaillée de trouvailles chorégraphiques signées Decouflé.

Genod a quant à lui recruté des hommes et des femmes de tout âge, pour la plupart non aguerris à la prouesse sportive ou à l’acrobatie. Certes, il arrive qu’une coureuse de demi-fond évolue en bondissant gracieusement, en manège, dans le sens antihoraire ; qu’un chanteur de samba donne le départ du carnaval ; qu’un danseur de voguing nous gratifie d’un solo virtuose au sol, accompagné par un tune diffusé sur smartphone.

Mais, pour le reste, dans l’ensemble, rien ne relève du prodige, du sensationnel, du stupéfiant. Tout est fluidifié, sublimé par le travail répété, la confiance accordée, la gestuelle stylisée. Tout semble écrit, prémédité, donc chorégraphié. La pièce est sans dialogues, sans paroles autres que les didascalies livrées par Genod au microphone aux moments opportuns. Celles-ci ont valeur de consignes, au sens où l’entend une Anna Halprin. Elles permettent de distinguer les trois principales sections de l’opus, qui sont, d’après le témoignage de l’un des participants : migrations, colonnes, lignes.

Il va sans dire que les événements sont bien plus nombreux et les agencements, de toute espèce, les changements de tempos toujours justifiés. Les costumes aux teintes saturées, pour les uns donnent un emploi à qui le cherche, un rôle, une fonction sociale ; pour d’autres, ils participent de l’abstraction de la pièce. Ils ne se fondent pas dans le décor mais accrochent la lumière du jour – aucun autre éclairage que celui qui traverse les parois en verre et neutralise l’ambiance régnant dans la nef. Ils rappellent l’époque hippie du collectif et des chemises à fleurs, celle de l’âge psychédélique ou, plus près de nous, du glamrock. Genod est vêtu d’une veste à paillettes, mi-circassienne, mi-militaire, comme celle de Sgt. Pepper.

Nicolas Villodre

Vu le 31 janvier 2021 au Carreau du Temple, dans le cadre de Faits d’hiver.

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