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« Spectres d’Europe » par le Ballet de l’Opéra national du Rhin

Sous le titre Spectres d’Europe, Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet de l’OnR, propose depuis 2018 des programmes de danse portant « un regard critique sur notre continent et son histoire », le terme « spectre » lui ayant été inspiré par La Table verte de Kurt Jooss, que Jean-Paul et Jacqueline Gravier, codirecteurs du BOnR de 1990 à 1997, firent entrer au répertoire de la compagnie en 1991, ballet « où le personnage de la mort plane sur les décisions humaines ».

Cette année, nous sont présentées trois pièces venues enrichir le BOnR depuis : Songs from Before (2009), une commande passée à Lucinda Childs par Bertrand d’At (1957-2014) ; On the Nature of Daylight (2007) de David Dawson et Enemy in the Figure (1989) de William Forsythe qui ont récemment complété l’offre chorégraphique de la troupe alsacienne. Soit trois styles chorégraphiques différents, pour ne pas dire divergents, ayant en commun leur rigueur, leur élégance et leur goût pour la musique électro-acoustique de Max Richter et électro tout court de Thom Willems. La soirée qui, soit dit en passant, peut être vue l’après-midi (moment d’une journée de week-end abusivement qualifié de « matinée »), est cohérente ; elle monte peu à peu et mine de rien en degrés d’intensité ; Songs from Before débute le gala avec un calme olympien ; On the Nature of Daylight apporte une touche lyrique, on ne peut plus romantique ; Enemy in the Figure conclut l’affaire à un rythme d’enfer et de manière décoiffante.

Songs from Before © Agathe Poupeney

Après son chef d’œuvre absolu, Dance, Lucinda Childs a réussi à nous surprendre en jouant avec des mouvements, des trajectoires, des accouplements venant le contredire, sinon le contrarier - l’esprit minimaliste continue d’animer sa manière. La latéralité des déplacements des danseurs s’oppose à la verticalité des lamelles noires imprimées sur trois écrans mobiles, semi-translucides, disposés en profondeur qui composent la scénographie de Bruno de Lavenère. Les couples mixtes, vêtus uniformément en noir et blanc, s’y réfléchissent à l’infini comme les danseurs mis en scène par Busby Berkeley dans un ballet du film Wonder Bar (1934). La musique de Max Richter est tout aussi sereine que la danse, enrichie de poèmes d’Haruki Murakami extraits d’Au sud de la frontièreà l’ouest du soleil (2002) et des Amants du Spoutnik (2003) lus par le musicien et chanteur Robert Wyatt.

On the Nature of Daylight © Agathe Poupeney

Julia Weiss et Cauê Frias se taillent un franc succès auprès du public avec le court – trop court même pour les balletomanes patentés – pas de deux On the Nature of Daylight du Britannique David Dawson qui prolonge la finesse de Childs, sert de transition à la pièce de Forsythe en conservant un académisme de bon ton, incarné par des interprètes d’ici et maintenant, impeccables sur le plan technique et artistique. Le plus remarquable étant que la musique sans dissonance mais néanmoins contemporaine de Max Richter soutienne une proposition chorégraphique à base d'un vocabulaire académique. Un langage que William Forsythe avait mis en cause dès son arrivée en Allemagne. Outre la chorégraphie, la scénographie et la lumière, il signe les costumes glamour des danseurs de  Enemy in the Figure

Enemy in the Figure  © Agathe Poupeney

La pièce vieillit bien et reçoit un très bon accueil du public mulhousien initié, il est vrai, au moderne, au postmoderne et même à l’électro d’un Thom Willem. La brisure, le discontinu, l’éclat – sonore et visuel – font partie du jeu, comme l’étaient dans les années 70 les gestes quotidiens et le seront demain d’autres lubies et échappées esthétiques. 

Nicolas Villodre

Vu le 30 avril 2023 à la Filature de Mulhouse.

Le programme sera repris à l’Opéra de Strasbourg le 25 juin 2023 à 17h et du 27 au 30 juin à 20h.

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