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« Solaris » de Saburo Teshigawara

Solaris, planète imaginaire, n’est qu’intelligence et lumière. Et mystère. Pour la première fois, cette métaphore de l’immatériel et de l’inconscient atterrit sur un plateau de théâtre. En adaptant le célèbre roman de Stanislav Lem, Saburo Teshigawara signe un opéra chorégraphique qui accorde à chant, danse et musique la même importance.

Après la création mondiale au Théâtre des Champs-Élysées, Solaris sera donné à Lille et à Lausanne, avant de partir, qui sait, sur des voies galactiques. Chanter et danser cette excursion interstellaire (au lieu d’une nouvelle adaptation au cinéma), voilà qui permet de redécouvrir Solaris sous un prisme radicalement différent.

Galerie photo : Vincent Pontet

Teshigawara se défait de toute imagerie pseudo - ou rétro - futuriste (les costumes des chanteurs mis à part) et plonge l’action dans un énorme cube d’un blanc immaculé. Le pionnier de la danse contemporaine japonaise signe l’adaptation, la scénographie, les costumes et les lumières. Sans oublier la chorégraphie…

Son livret compte une vingtaine de pages de dialogues interprétés par une soprano (Sarah Tynan, Hari), un baryton (Leigh Melrose, Kris Kelvin), un ténor (Tom Randle, Snaut) et un baryton-basse (Callum Thorpe, Gibarian). On chante dans la langue de Shakespeare, mais le registre est très contemporain et sobre: « I am just a copy. The real Hari died. I must accept this. I don’t exist. I have no value.” On est dans l’univers de l’opéra contemporain et la partition de Dai Fujikura ne cherche en rien à révolutionner le genre.

 

Par contre, un mystérieux manipulateur sonore crée des distorsions spatiales et sonores quand le second baryton, dédoublement invisible de la voix de Kris Kelvin (Marcus Farnsworth), plonge dans les visions de l’anti-héros de Solaris. Voix distordue, parfois entrant en conflit avec celle du Kelvin éveillé, voix spatialisée en tournant le public pour le placer à l’intérieur des tourments. C’est bien sûr le savoir-faire de l’IRCAM qui est aux origines de ces effets étonnants créés sur mesure par Gilbert Nouno, l’un de leurs fameux RIM (réalisateur en informatique musicale).

Le dédoublement est un terrain de prédilection pour faire se rencontrer l’univers de Lem et celui du Japon actuel, sur fond de Japon éternel incarné par l’épure absolue de l’espace scénique. Dans le roman, les mesures prises dans l’océan de Solaris ne cessent de se contredire. Quant à Hari, elle est double. Kelvin ne peut rencontrer que son clone, sa « copie », comme Lem disait à son époque. Aujourd’hui la frontière entre le réel et le virtuel s’estompe, et cet opéra donne un reflet spectral de cyber-monde, nouvelle planète fantasmagorique et omniprésente.

Ici, ni les chanteurs, tout de noir vêtus, ni les danseurs ne paraissent tout à fait réels. Chacun n’incarne qu’une partie d’un personnage, et chaque personnage est représenté par un danseur et un chanteur. Et quelle distribution chorégraphique ! Nous y voilà, enfin. Si personne n’avait encore dit que la danse est le chant du corps, c’est en voyant Solaris que l’évidence se serait imposée.

Hari n’est autre que Rihoko Sato, depuis vingt ans l’égérie de Teshigawara. Ses luttes avec la mort, ses passages vers un autre état sont agités et fulgurants. Chaque muscle semble se mettre à crier. Elle sait bondir sur pointes de façon horizontale et donne à Hari une densité dramaturgique sans pareil. La puissance de ses jambes fait songer à Louise Lecavalier…

Il faut ici parler d’elle avant de saluer Nicolas le Riche, qui montre qu’il sait tout dire et exprimer avec le plus petit mouvement, qu’il n’est pas moins acteur que danseur et qu’il y a grand intérêt à ce qu’il continue à se produire sur scène pendant autant d’années qu’une Carolyn Carlson.

Mais c’est plutôt Teshigawara lui-même qu’il faudrait comparer à l’Américaine de Paris. En même temps, ses brèves apparitions en solo font penser à Ushio Amagatsu qui, en se raréfiant, donne toujours plus d’importance et d’impact à sa présence. Teshigawara fait de même. L’immatérialité de son port de bras est inimitable. Mais cela ne vaut que pour lui-même.

Dommage que Vaclav Kunes (Kelvin, et donc partenaire de Saho) et Le Riche soient obligés de danser, pour de grandes parties, les mêmes vortex que le maître. Il y a certes intérêt à préserver une unité de style et de sphère, mais Le Riche semble annoncer qu’il saura trouver en lui-même une formidable richesse gestuelle et des nuances expressives qu’il ne peut explorer ici. Pourtant le public serait prêt à le suivre, jusqu’à Solaris-même s’il le faut...

C’est Ulf Langheinrich, artiste visuel allemand et créateur d’installations 3D chorégraphiques et sonores, qui réinvente ici la mise en condition du spectateur. Le voyage commence en dévoilant une matière pixélisée, grise et plutôt pointilliste, qui ne représente… rien ! En tout cas, ni la conscience-océan de Solaris, ni l’univers. Nos pensées, peut-être. Solaris est un voyage vers nous-mêmes qui commence ici dans un énorme silence, avec des lunettes 3D.

Thomas Hahn

Création mondiale le 5 mars 2015, Paris, Théâtre des Champs-Élysées

En tournée
Opéra de Lille
 : 24, 26 et 28 mars 2015
Opéra de Lausanne : 24 et 26 avril 2015

SOLARIS (opéra)
Musique de Dai Fujikura
Livret de Saburo Teshigawara, d'après le roman éponyme de Stanislaw Lem
Direction musicale : Erik Nielsen

Mise en scène, chorégraphie, décors, costumes, lumières : Saburo Teshigawara
Images et collaboration à la conception lumière : Ulf Langheinrich
Ircam / Réalisation informatique musicale : Gilbert Nouno
Orchestre : Ensemble intercontemporain
Avec Sarah Tynan, Leigh Melrose, Tom Randle, Callum Thorpe, Marcus Farnworth
Et Saburo Teshigawara, Nicolas Le Riche, Rihoko Sato, Václav Kuneš, danseurs

Production Théâtre des Champs-Elysées, en coproduction avec l'Opéra de Lille, l'Opéra de Lausanne / Ircam-Centre Pompidou
Commande du Théâtre des Champs-Elysées, de l'Opéra de Lille, de l'Opéra de Lausanne, de l'Ircam-Centre Pompidou et de l'Ensemble intercontemporain

 

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