« Soirée de duos (Playlist#1) » par le Ballet Preljocaj
A partir d’extraits de son répertoire, Angelin Preljocaj compose une pièce d’une belle prestance et cohérence. Recycler c’est magnifier…
Quand Preljocaj rime avec recyclage... le terme fait-il outrage ? Contrairement aux apparences, le recyclage est un art noble, l’art d’utiliser des processus physiques et biologiques pour transformer l’ancien en quelque chose de nouveau, possédant une identité propre. L’ingéniosité investie produit des résultats miraculeux.
C’est dans cette idée qu’il faut placer la Soirée de duos (Playlist #1), composée d’extraits d’oeuvre sur cinq, voire sept femmes qui interprètent deux extraits de Retour à Berratham, la plus récente des neuf pièces d’Angelin Preljocaj composant ce programme, toutes créées entre 1994 (Le Parc) et 2015. En effet, Playlist #1 est bien plus qu’une Soirée de duos, et surtout, loin d’une soirée de gala où se succèdent des pas de deux, séparés par des saluts et des bravos. Une création, un tout, avec ses fusions et ces ruptures, comme dans toute pièce écrite d’un trait.
Au lieu d’une Playlist, on pourrait évoquer un remix, tant les différents extraits peuvent s’imbriquer et créer une nouvelle dramaturgie, à l’aide de transitions surprenantes, habiles et étonnamment organiques. Sortis de leur contexte, certains moments d’une pièce donnée ont autant de liens avec d’autres créations du Ballet Preljocaj. « Et ça marche. Le public n’applaudit pratiquement pas entre les tableaux », se réjouit Preljocaj. C’est d’autant plus remarquable que certaines séquences sont tout de même séparées par de vraies césures. Mais dans son ensemble, le programme s’appuie sur les ballets ouvertement ou substantiellement narratifs d’un chorégraphe à l’engagement pérenne. C’est de cette cohérence que la soirée tire une belle part de sa cohérence.
La transversalité de l’extrait
Les interprètes de Retour à Berratham ouvrent la soirée tel un chœur antique, avec des unissons lents, fusionnels et organiques, visiblement sous l’emprise d’événements dramatiques. Dans une ambiance de haute densité émotionnelle, les danseuses finissent par former un cercle rituel, figure qui pourrait nous projeter directement dans l’univers de Spectral Evidence.
Et nous ne sommes pas loin de La Fresque, créée en 2016, mais absente dans ce programme. Avant d’arriver aux extraits de Spectral Evidence créée en 2013 pour le New York City Ballet, le cercle s’ouvre et se disperse, laissant seule en scène Cecilia Torres Morillo, assise dos public, qui s’adonne à une rêverie emplie de sensualité, sur la voix de Natasha Atlas. Nous venons d’entrer dans Les Nuits, par un solo plein de féminité et de grâce, une danse intime et joyeuse.
A partir de là, les duos arrivent en force, d’abord avec Emilie Lalande et Clara Freschel ainsi que Beethoven, dans un pas de deux issu de Suivront mille ans de calme (2010). Leur pas de deux est si graphique, clair et précis qu’on le placerait sans heurts dans la séquence de Retour à Berratham. C’est en cela que cette Soirée de duos ouvre des perspectives transversales sur l’œuvre de Preljocaj et permet d’établir des liens directs à travers les pièces d’une époque.
Désirs et totalitarismes
Aux deux femmes répondent, directement, Victor Martinez Caliz et Simon Ripert dans un duo extrait de Spectral Evidence (1), tissant finement le lien avec Le Parc (avec la fameuse séquence d’envol, reprise dans son clip pour Air France, ici interprétée par Virginie Caussin et Sergi Amoros Aparicio). A Berratham comme à Salem - Spectral Evidence revient sur l’hystérie collective envers les « sorcières » et le fameux procès de 1692 - ou encore dans Suivront mille ans de calme, les totalitarismes et la guerre libèrent diverses formes de violence et de brutalités envers des innocents. Dans ces pièces, autant que dans Les Nuits, Preljocaj prend position et dénonce. Et jusqu’ici, cette Soirée de Duos affiche une étonnante homogénéité.
Mais Preljocaj réunit ici deux approches chorégraphiques bien distinctes. La soirée propose d’une part ces pièces où la forme et le style sont soignés au possible et s’affranchissent de la narration, comme La Stravaganza (1) ou bien Le Parc. D’autre part, il introduit deux duos de séduction extraits de Les Nuits (2015) ou encore l’affrontement entre Blanche Neige (Emilie Lalande) et la Reine (Cecilia Torres Morillo), saynètes où la danse est soumise à un jeu théâtral démonstratif.
Alors que tout se joue dans la dichotomie entre le désir et son empêchement par le monde extérieur, par les intolérances et les violences, les lignes de fractures à l’intérieur de cette pièce de pièces se situent dans le style chorégraphique et dramatique. Forces et faiblesses des unes et des autres n’en ressortent que plus clairement. Mais les duos de la fin, qui sont également ceux de Roméo et Juliette (Virginie Caussin et Redy Shtylla) clôturent la soirée par un point d’orgue à toute épreuve.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 4 mai au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
1) Spectral Evidence et La Stravaganza sont à voir dans l’interprétation du Ballet Preljocaj à Montpellier Danse 2017 sous le générique Les Pièces de New York.
En tournée :
Leverkusen (R.F.A.) , 4 octobre 2017
Mougins, 7 octobre 2017
Morges, 21 novembre 2017
Versailles, du 15 au 17 décembre 2017
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