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« Soi » de Si’mhamed Benhalima, Kevin Mischel et Julien Michelet

Nous avons assisté à l’un des derniers spectacles programmés aux Métallos par Philippe Mourrat, avant l’arrivée de Stéphanie Aubin à la direction de l’établissement municipal, Soi, de Si’mhamed Benhalima, Kevin Mischel et Julien Michelet, formellement redevables au hip hop.

Rappelons au passage que le désormais retraité – et, comme tel, taxable sinon corvéable – Mourrat avait accueilli à La Villette les premières Rencontres de danses urbaines organisées en 1996 sous les auspices d’un Théâtre contemporain de la danse impulsé par Christian Tamet, événement auquel nous contribuâmes en invitant Sidney, l’animateur de l’émission de télévision historique H.I.P.H.O.P. Cela ne nous rajeunit pas non plus bien qu’en matière artistique – et chorégraphique –, la valeur puisse attendre le nombre des années. Le trio convoqué pour cette production de la compagnie Drive est formé de deux danseurs issus de la galaxie hip hop et d’un musicien – compositeur et contrebassiste.

Leur opus est hybride et relève tout autant, nous a-t-il semblé, de la pièce de théâtre, du mimodrame, du défi physique que du show musical. L’instrumentiste ne fait pas partie des meubles qui, sommairement, garnissent l’espace de la « salle noire ». Il est intégré au mouvement d’ensemble, à la mise en scène ainsi qu’à la partie chorale du ballet. Il est à la fois mu par les deux danseurs-chorégraphes et produit la matière musicale et la trame rythmique qui les fait agir, s’activer et, le cas échéant, s’agiter.

Le rôle qui lui a été – ou qu’il s’est lui-même – attribué l’a été, si l’on peut dire, sur mesure. C’est un peu celui de l’arbitre des élégances, du président d’un jury n’ayant de trophée à décerner, d’un Salomon biblique ne voulant départager aucun des deux performers. Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas nés de la dernière pluie. Si’mhamed Benhalima est un spécialiste de la breakdance. Il a, entre autres, été membre du Vagabond Crew, de Montalvo-Hervieu et d’Accrorap. Kevin Mischel a appris le Popping de Bruno Falcon, une des figures de cette discipline et l’un des chorégraphes attitrés de Michael Jackson, avant de collaborer notamment avec Dominique Boivin et Hiroaki Umeda. Tous deux figurent dans le long métrage de fiction sur fond de danse urbaine, Break (2018).

La scénographie de Soi a nécessité peu de moyens : elle fait même « arte povera » avec ses deux portes sorties de leurs gonds, une pile de cageots glanés, il est des chances, en fin de marché, boulevard de Belleville, une chaise vétuste, dépourvue d’assise et un petit tabouret, perchés au plafond. La lumière est chiche et trouve par moments assez de lux pour cibler tel ou tel détail, tel ou tel geste – on pense, par exemple, au jeu de mimines de Kevin Mischel. Les cintres sont dès l’entame utilisés pour les besoins de l’action avec une entrée spectaculaire du protagoniste qu’incarne Si’mhamed dans une position malaisée, pendu par les pieds assez de temps pour se faire du mauvais sang.

Le bourdon musical de la basse jouée pizzicato ou au moyen de l’archet – utilisée également comme un tam-tam –, complété par des parties préenregistrées, contribue à plomber une ambiance assez sombre d’emblée. La chute sourde et soudaine de sacs de toile de jute bourrés entre autres de poussière n’est pas là pour rassurer qui que ce soit. Le musico tire son bombardon comme un chariot à provisions.

C’est dans ce quartier de Ménilmuche que Francis Marmande, journaliste-écrivain ayant pour violon d’Ingres la contrebasse, se fit voler la sienne, ainsi qu’il le raconte dans La Housse partie (1997). La suite gestuelle débute par une variation debout de Kevin Mischel, une série de manipulations destinées à animer ou ressusciter son alter ego tombé du ciel, des séquences au sol de celui-ci. Les mouvements sont hachés, crispés. Les routines sont bien agencées, ressassées ce qu’il faut mais suffisamment variées, contrastées. Les parties solitaires succèdent ainsi aux pas de deux – et de trois, quand entre dans la place le bassiste –, chacun livrant sa partition ou, au contraire, calquant sa conduite sur celle du voisin, en synchronie totale, en symétrie ou avec des décalages et des contrepoints. L’aspect miroitant de la chorégraphie illustre le thème du double ou de l’altérité.

Une mélopée arabe rompt le silence et apporte une touche orientale à ce qui peut être pris pour une parabole sur la destinée humaine alternant phases de violence et de paix.

Nicolas Villodre

Vu le 6 décembre 2018 à la Maison des Métallos dans le cadre du festival Kalypso

 

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