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« Serre » et « A_Live_» de Martin Harriague au Temps d’Aimer la danse

Le chorégraphe associé du Malandain Ballet Biarritz a créé Serre et A_Live_ au 30festival Le Temps d’Aimer la danse à Biarritz. (lire notre entretien)

A propos de Serre, créé le 17 septembre dans la salle Gamaritz de la Gare du Midi, le chorégraphe Martin Harriague prévient d’emblée : « Ce n’est pas vraiment une pièce dansée ». De fait, ce duo conçu pendant et après le confinement tient plus, a priori, de l’expérience quasi cinématographique que du spectacle chorégraphique. Pourtant, de quoi est-il question si ce n’est de corps, et plus précisément de corps en mouvement ? Un mouvement certes empêché, puisqu’au début de la pièce le danseur Mickaël Comte, du Malandain Ballet Biarritz, git inconscient - ou endormi - à mi hauteur du sol sur une planche étroite, façon table d’opération ou de kiné. Mais un mouvement peu à peu libéré et délivré (sic !) lorsqu’un moustique vient jouer le rôle du grain de sable et dérègle insidieusement un monde aseptisé. 

Revendiquant ouvertement ses références aux films fantastiques (on ne peut s’empêcher de penser à La Mouche de David Cronenberg), Martin Harriague a en effet redessiné la salle où prend place le public en véritable boîte noire, au centre duquel est installée une mini serre horticole. A l’intérieur, telle une espèce menacée ou menaçante, un être humain est conservé, régulièrement ravitaillé et contrôlé par une forme fantomatique entièrement couverte d’une combinaison blanche, bruitages de respiration sous bouteille d’oxygène à la clé.

Chaque ouverture et fermeture de la serre donnent lieu à un festival de bruits parfaitement désagréables que quiconque ayant eu la joie de passer un IRM identifiera immédiatement. Jusqu’à ce que, s’éveillant et commençant à se lever, puis découvrant la mouche échappée d’un récipient qui lui a été déposé, ce spécimen survivant (d’une humanité décimée par un virus ?...) ne retrouve progressivement, en tentant de capturer l’insecte bourdonnant, le plein usage de ses membres et de ses sens. 

On retrouve ici l’humour toujours présent dans les créations de Martin Harriague, qui n’hésite pas à convoquer un des animaux les plus détestés des humains pour œuvrer à leur résurrection. Mais aussi son art d’une narration épurée et suggestive, lorsqu’en quelques courtes séquences, le danseur passe d’une mort symbolique à la vie retrouvée, éclairage et musique à l’appui.

Celui-ci va également renouer avec l’Autre, féminin en l’occurrence puisque son visiteur masqué n’est autre que la danseuse Irma Hoffren, qui finit par entrer dans la serre et transformer l’abri sanitaire en refuge amoureux.

Galerie photo © De Otero

La dernière scène - on allait dire le dernier plan - les voit tous deux assis, nus côte à côte sur le lit médical, tandis qu’une vapeur d’eau les cache peu à peu aux regards. Particulièrement forte, elle éclaire le sens d’une pièce qui ne se limite pas à être une métaphore (réussie) du confinement, mais affirme avec une sincérité convaincante que le partage, la confiance et le contact charnel, aux pleins sens du terme, sont les meilleures armes pour lutter contre les menaces du futur. Tenue de bout en bout dans une belle concision dramatique, justement pensée et interprétée, Serre est la pièce de notre présent et de nos questionnements. 

A ce constat, Martin Harriague apportait lui-même dès le lendemain un premier développement avec A_Live_, présenté au Casino de Biarritz dans le cadre d’une soirée partagée avec Antonin Comestaz.

Cette fois, la présence féminine se manifestait sur scène d’emblée par l’entremise d’un mannequin nu et privé (à la suite d’une catastrophe ?) de ses bras et d’une jambe. ‘Elle’ était confrontée à deux hommes, Mickaël Comte à nouveau et Martin Harriague lui-même, endossant en raison sans doute des contraintes sanitaires ce rôle d’interprète auquel il avait semblé dire adieu l’an passé, sur cette même scène, dans Fossile.

Sur une bande-son évocatrice de films de science-fiction, l’un et l’autre se livraient à un corps à corps de plus en plus sensible et sensuel, ponctué par des suites de mots prononcés par la voix électronique du mannequin (« men… make…. me… feel… »). Leur duo culminait en un somptueux - et trop court ! - pas de deux sur un extrait de l’adagio du célèbre Concerto pour hautbois en ré mineur de Marcello transcrit pour le clavier par J.-S. Bach, également utilisé - dans sa version originale - par Jiri Kylian dans le magique Bella Figura.

Galerie photo © Stephane Bellocq

Durant cette suite de mouvements entremêlés où la puissance gestuelle tutoyait la grâce, les deux interprètes  incarnaient l’avant-garde d’une humanité qui aurait enfin compris le mot de Molière : « Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser ». Si A_Live_, ouvrant de nombreuses pistes sans toujours les suivre, pouvait dans son foisonnement créatif sembler moins efficace que Serre, ces quelques minutes étaient celles d’un grand chorégraphe. 

Isabelle Calabre

Vus au festival Le Temps d’Aimer la danse à Biarritz, les 17 et 18 septembre 2020.

Lire notre entretien 

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