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Séquence Danse au Centquatre-Paris : le Ballet de l’Opéra de Lyon

Pierre Pontvianne, William Forsythe et un parfait crescendo en défis formels.

En danse, bien souvent, la contrainte porte conseil et un resserrement en matière de mouvement et d’espace se mue en ouverture et richesse cinétique. De ce paradoxe de la créativité, où les gestes des danseurs sont à la fois prévisibles et imprévisibles, William Forsythe est un maître incontestable. C’est pourquoi le Ballet de l’Opéra de Lyon lui consacra un programme en trois parties, dont Quintett (1993), une pièce qui lorgne vers le vocabulaire classique et l’héritage réinventé dans l’esprit américain des Balanchine, Cunningham et finalement Forsythe. Programme complété par N.N.N.N. (2002), un quatuor pour quatre interprètes masculins – mais d’autres compagnies le donnent en distribution mixte – pour culminer sur le blockbuster forsythien One flat thing, reproduced  qui date de  2000.

Julie Guibert, directrice du Ballet de l’Opéra  de Lyon désormais remplacée par Cédric Andrieux, a eu l’idée très intéressante de substituer – pour l’occasion parisienne – à Quintett  une pièce de Pierre Pontvianne, Beasts Poem, pour créer par là une progression parfaitement lisible dans le travail sur la contrainte, alors que la trilogie Forsythe explorait différents systèmes d’écriture d’un seul chorégraphe. Beasts Poem, pièce pour onze danseurs créée pour la troupe de l’Opéra de Lyon en 2021, serre les boulons formels de manière inédite pour une création par un chorégraphe invité travaillant avec une compagnie se nommant « ballet ».

Beasts Poem : La beauté de l‘incertitude

Les voilà telle une installation : Onze corps, longtemps figés, presque comme glacés. Mais une lueur ardente semble émerger de l’intérieur sur les bras et les visages, seules parties non couvertes par les costumes noirs. Et quand l’ensemble se fige, puis se met en mouvement, se fige encore pour repartir à nouveau, quelqu’un semble avoir soufflé sur les braises. Si un feu brûle sous la glace, ces braises sont peut-être celles du poème d’Ikram Benchrif, lu en voix off par son autrice en langue arabe. Mais aucune traduction ni explication n’est fournie et on se met d’autant plus à imaginer des contextes et contenus que la bande son inclut des clameurs qui peuvent renvoyer à des protestations, voire des manifestations. Alors, si Pontvianne dit chercher un lien entre les mots et les gestes, les deux semblent ici se rejoindre à la manière d’une chorégraphie de Cunningham face à une musique de John Cage, ou plus encore comme dans le travail d’Angelin Preljocaj sur les Empty Words  du trublion américain.

Comme souvent dans ses pièces, Pierre Pontvianne crée un contexte formel qui produit en même temps force, énigmes et transmission d’énergie. Mais face au groupe de Beasts Poem, une femme dénote. Elle se tient debout, dans une robe printanière et observe les dix silhouettes humaines. Regarde-t-elle ses ombres intérieures ? Et dans la seconde partie placée sous des lumières blanches, assiste-t-elle à une cérémonie, voire à des obsèques ? Représente-t-elle la poète ? Est-elle stoïque, fascinée ou émue ? Enigmatique, elle est. Et ce d’autant plus que nous la voyons rarement de face. Et on sait que Pontvianne aime laisser libre cours à l’imagination des spectateurs. La fomenter à ce point sans rien concrétiser est un art en soi.

Forsythe et la forme

Si William Forsythe donne à son quatuor N.N.N.N. un titre  codé, la pièce en elle-même joue la franchise, voire l’humour. Comme chez Pontvianne, les mains et les bras sont au centre, mais cette fois l’abstraction part sur une rythmique bien huilée et une complicité affirmée. Jouant sur un pré-mouvement étendu et une attaque très accentuée, les gestes peuvent même frôler le burlesque. Mais tout est laissé à la bonne volonté des interprètes. Car N.N.N.N., ce sont quatre personnes, quatre indéterminations à pourvoir d’identités. Ce qui réussit parfaitement à Brandon Evans, Yan Leiva, Albert Nikolli et Raúl Serrano Núñez qui peuvent se soutenir, créer des symbioses ou se défier dans leur jeu de Meccano corporel, créant des enchaînements transversaux comme si un mouvement organique se transmettait à travers eux, à la manière d’une vague ou d’un courant électrique.

N.N.N.N. et On Flat Thing, reproduced : Photos © Agathe Poupeney

Il existe en effet bien peu de pièces partant d’une idée formelle où la personnalité de l’interprète détermine à ce point le résultat. En ce sens N.N.N.N.  est un quatuor assez jazzy alors que pendant longtemps, toute musique résonne ici dans les corps. On lit « musique Thom Willems », mais les quelques sons électroniques qui surgissent vers la fin demandent au spectateur de les arracher au silence. Voilà donc un cas radical de « moins, c’est plus ». Et une parfaite entrée en matière musicale pour partir sur les rythmes fulgurants de On Flat Thing, reproduced. Tout a été dit sur ce grand classique qu’on ne présente plus. S’y ajoute qu’ici les vingt tables et quatorze interprètes étendent l’idée de contrainte, déjà présente dans les deux premières œuvres de la soirée, vers une dimension spatiale et dans un crescendo parfait.

Thomas Hahn

Programme Pontvianne/Forsythe du ballet de l’Opéra de Lyon
Vu au Centquatre Paris, le 10 mai 2023, festival Séquence Dans

 
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