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« Sens migratoire » : 18e Biennale de Danse du Val-de-Marne

Au printemps on entend dans le ciel, même à Paris, les cris des oiseaux migrateurs qui reviennent des régions du sud. Et tous les deux ans on observe au sol un phénomène semblable, celui des spectateurs de danse qui se déplacent à travers le département du Val-de-Marne, à la recherche de nouveautés chorégraphiques.

Sens migratoire, titre de cette 18ème édition de la Biennale, joue avec le sens. Car les oiseaux suivent une route toute tracée alors que le public de la Biennale suit une chorégraphie du territoire, d’Orly à Vitry, de Fontenay-sous-Bois à Champigny, de Bezons à Boissy.

Du 5 mars au 3 avril, la Biennale propose 62 représentations de 33 compagnies, dont 10 créations et 7 premières en France. Et le festival maintient sa vitesse de croisière. L’édition 2015 bénéficie du même budget que celle de 2013. « Un vrai choix politique », confirme Daniel Favier qui signe sa troisième édition, et la deuxième en tant que directeur de La Briqueterie, CDC ouvert en 2013.

Il faut bénéficier d’une telle stabilité pour s’attaquer sereinement au sujet de la migration. Car chez les oiseaux autant que du côté des humains, la migration répond au besoin d’assurer les ressources vitales et est en elle-même une source de danger de vie. Aussi, le projet Migrant Bodies est l’un des événements phares de cette édition. Artistes européens et québécois y constituent un laboratoire de réflexion et de création transdisciplinaire (danse, arts visuels, littérature) au sujet de la migration. Et ils la mettent en pratique, en déplaçant ses activités de Vancouver à Zagreb, de Vitry à Trieste… Le public aussi est invité à migrer entre spectacles, projections, lectures, expositions etc., La Briqueterie jouant ce jour- là (le samedi 21 mars) la carte portes ouvertes (l’entrée est libre).

Logiquement, un spectacle-parcours en appelle un autre, et voilà que Fabrice Dugied, co-directeur du studio Le Regard du Cygne, invite à une soirée autour des archives laissées par Lise Brunel, éminente critique de danse et mère de Fabrice, qui avait réservé au monde de la danse la mauvaise blague de nous quitter un 1er avril 2011, veille de la fin de la première Biennale du Val de Marne dirigée par Daniel Favier. Il n’est que logique que Dugied réponde aujourd’hui à cette migration vers le plus ailleurs des ailleurs en bouclant la boucle, faisant circuler les spectateurs entre performances chorégraphiques, expositions et échanges sur le vif. Et Meredith Monk de composer sur mesure une berceuse pour Lise…

Anne Collod lui répond en créant Le Parlement des Invisibles, inspiré de danses macabres, revues par l’expressionnisme allemand, pour « célébrer la fertilité des morts ». Aussi souligne-t-elle que ce sont les disparus, en tant que personnes et à travers leurs œuvres, qui sont « des êtres actifs », comme elle dit, qui nous inspirent le mouvement de nos pensées et de nos corps. Avec ses échos aux fêtes funéraires, à la transe et aux rituels mexicains, elle développe ainsi une belle complicité avec le projet de Dugied, et sans doute aussi avec celui de Marcos Morau, Los Pajaros Muertos.

  Les Oiseaux Morts est dédié à Pablo Picasso à partir de son tableau éponyme et propose un regard sur le XXe siècle, convoquant les fantômes de Franco, Hitler, Mussolini, mais aussi Garcia Lorca ou Marilyn Monroe. Car les oiseaux sont migrateurs, certaines espèces en tout cas, toutefois à condition d’être vivants.

Des migrations, il y en a tant. Entre la vie et la mort, mais aussi entre les sexes. La danse est un vecteur idéal pour évoquer la porosité des identités. Aussi, Gilles Verièpe propose à sept danseuses, venant de toutes sortes d’horizons géographiques et culturels, de parler de la masculinité qui peut se dissimuler en elles et entre elles. Qu’est-ce qui est masculin, que signifie être féminine ? Telle est la question posée dans She-Mâle. Est-ce à ces interrogations que songe Fabrice Lambert en appelant sa rencontre avec l’écrivaine Gaëlle Obiegly L’incognito ? Cette création est présentée en partenariat avec le festival Concordan(s)e, tout aussi migratoire, pardon : itinérant.

Si cette Biennale sous le thème de Sens migratoire ne présente pas d’artiste venant des pays africains ou autres qui voient des grands pans de leur population, et surtout les jeunes, tenter de gagner les terres d’Europe par les mers ou les montagnes, on rencontrera toutefois le container comme symbole de la traversée. Origami de Satchie Noro (danse) et Silvain Ohl est une création autour d’un container commercial, découpé en plusieurs parties et réassemblé comme on plie le papier au Japon, entre autres pour fabriquer de petits oiseaux… Au lieu de cacher migrants ou marchandises, la boîte métallique de 40 pieds devient ici un agrès de cirque, pour un jeu de construction et d’acrobatie qui se déplacera sur quatre lieux du Val de Marne.

Nettement plus léger dans ses déplacements, cet autre spectacle migratoire à l’intérieur du festival, 15x La Nuit de Paul-André Fortier, solo nocturne qui précède ou suit autant de représentations données dans le cadre de la Biennale.   Il est vrai que les artistes font partie des grands voyageurs de notre époque et qu’il est dans la nature de leur désir de connaître, d’explorer et de rencontrer qu’ils en viennent à changer de pays ou de continent pour une période de formation, de création ou pour la vie. La mobilité des artistes est supérieure à la moyenne, et c’est bien, pour eux et pour le public qui les rencontre.

On se souvient de la Biennale 2011 où Daniel Favier avait mis en exergue les pays nordiques… Cette année il introduit un fil rouge souterrain qui se réfère à la latinité, à commencer par Mauro, devenu incontournable en quelques années seulement. Côté flamenco, on peut dire la même chose de Rocio Molina. Espagne encore avec Guberna/Seth et leur création Esmerate!, avec Mal Pelo qui crée Le cinquième hiver et avec Toméo Vergès. Latinité avec l’Uruguayen Dery Fazio, le tango de Claudia Miazzo et avec Marlene Monteiro Freitas, la Capverdienne du collectif portugais Bomba suicida, sans oublier l’Italienne Ambra Senatore. De quoi développer son propre sens migratoire…

 

 

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