« Se Dissoudre » de Catherine Gaudet
Seule avec son inconscient, une femme se laisse traverser par un état de suspension intérieure, venu de la nuit des temps. Un solo hypnotique de la chorégraphe québécoise.
Si notre confrère Philippe Verrièle a vu dans Les Jolies choses de Catherine Gaudet un « spectacle d'épuisement » ou de « résistance » (lire notre critique), nous dirons plus volontiers en découvrant Se Dissoudre, qu’elle est une chorégraphe de l’acharnement ou de l’endurance.
Sur le plateau, une femme torse nu, Marie-Philippe Santerre, interprète hors pair, se lance dans un mouvement ondoyant, bassin projeté en avant qui se répercute dans tout le corps, tandis que la tête oscille et le bras se lève. Seule sa respiration rythme cette phrase vite hypnotique tandis qu’inspirations et expirations se succèdent lentement. De cet élan haletant découle toute la pièce, ce même mouvement se répétant tout le temps tout en se métamorphosant subrepticement. Et bien sûr, c’est exactement là tout l’intérêt et toute la force de cette pièce sans concession mais tout en nuances et transformations. Marie-Philippe Santerre tangue et se balance immuablement dans un suspens du temps tout en changeant imperceptiblement de perspectives et de positions, face ou diagonale, debout, à genoux ou couchée, avec une attention essentielle aux détails, comme ces façons de poser la main, les doigts au sol, l’angle de la tête, tandis que l’éclairage – de la lumière de service au plus beau vert ou rouge – joue de l’effet Koulechov sur ce corps qui exhale et s’exalte, s’essouffle en sons rauques ou aigus, finissant, d’ébranlements en bringuebalements, de palpitements en vacillements, effectivement par se dissoudre dans son environnement – mais pour exister d’autant plus puissamment.
A la fois vulnérable et invincible, organique et animale, profondément humaine, laissant affleurer ses sensations les plus enfouies, l’engagement de Marie-Philippe Santerre est total. Se laissant complètement envahir par cette chorégraphie minimale et ses déformations, du visage, du corps et du souffle, elle se laisse disparaître pour faire apparaître d’autant mieux cette seule et unique phrase, insistant sans fin, allant jusqu’au bout du bout d’un paroxysme fascinant.
Et pourtant, sa dernière incarnation, bouleverse toute notre lecture, la musique électronique, discrète au départ, se fait plus insistante, plus corporelle oserions-nous presque. Redonnant du charnel bien concret à ce corps qui lentement s’effaçait sous la pression obstinée de la gestuelle répétée. Alors soudain tout s’accélère, la fatigue mute en énergie éblouissante, d’une vigueur inattendue, et celle qui doucement semblait Se Dissoudre, devient star des podiums ou madone rutilante sous la neige tombante.
Impressionnant !
Agnès Izrine
Le 18 octobre 2013 au Carreau du Temple.
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