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Salia Sanou à Montpellier Danse

Corps noirs, lutteurs toujours
 Dans Clameur des arènes, Salia Sanou ébranle sans trop de crainte les puissances mouvantes de la représentation des corps africains
Voici un an à pareille époque, le chorégraphe congolais Delavallet Bidefiono créait, au festival d'Avignon, sa pièce Au-delà. Elle déployait sans complexe un imaginaire africain guerrier. Cela lui valut un accueil pincé, par des gardiens de l'esthétique contemporaine appliquée au continent noir, répétant doctement la nouvelle liste des interdits dressés à l'encontre de tout élément de typicité africaine, suspect de renvoyer aux clichés exotiques néo-coloniaux.
Sans qu'on le laisse vraiment en juger de lui-même – par retour paradoxal de paternalisme – , un bon danseur africain d'aujourd'hui doit prendre garde à cacher son torse nu, économiser ses muscles, remiser son goût du rythme, sentir bon son ordinateur ronronnant en coulisses, en lieu et place de ses bibelots et attributs guerriers.
 
Galerie photo de Laurent Philippe

Dans le même ordre d'idée, la pièce Clameur des arènes, que Salia Sanou vient de créer au festival Montpellier danse, n'aurait sans doute pas été possible voici dix ans. Aux côtés de trois danseurs contemporains burkinabé, il y engage cinq lutteurs sénégalais, montagnes de muscles quasi nues, susceptibles d'éveiller tous les fantasmes d'hyper-virilisation et para-ensauvagement de la représentation du corps noir.
À ceci près que ce n'est donc pas un descendant d'Hergé qui se pique d'étaler cela, mais un chorégraphe burkinabé contemporain, qui se charge dorénavant d'en orchestrer les contradictions. La plus saillante étant qu'il n'esquivera rien de l'évident potentiel d'érotisation que viennent exciter ces corps, noirs d'ébène, ceints d'un simple slip blanc, lui-même sanglé d'un bandeau rouge vif. Ces crudités de couleurs franches au plus près des chairs ont un éclat sanguin.
Galerie photo de Laurent Philippe

Contre le mur de fond du Théâtre de l'Agora, une gigantesque muraille de sacs gonflés d'air a été dressée, d'un rouge tout aussi vif, et de facture très contemporaine. Il y a là un geste plasticien radical (Mathieu Lorry Dupuy), qui excite la relation entre frontalité de la représentation scénique, et l'architecture elliptique de la salle de spectacle, renvoyant à la circularité de l'aire dans laquelle s'affrontent habituellement les lutteurs. Un peu comme toute la pièce, c'est là un signe d'origine du propos, mais qui se garde de seulement l'illustrer. Mur puissant, matière légère, ligne droite, ouverture courbe, Clameur des arènes vit de tensions très mobiles.
Celle qui se noue entre lutte et danse sera bien entendu la plus captivante. Pour un très long moment, elle se résout hélas dans une évocation de ce qui peut bien se passer dans les fameux combats de lutteurs sénégalais. Il fallait s'y attendre : l'imitation n'arrive pas alors à la cheville de ce qu'on suppose du réel. En découle un tunnel de passage à vide dans le spectacle.
 
Galerie photo de Laurent Philippe

Mais l'essentiel de sa matière travaille heureusement tout ailleurs, cultivant, tout au contraire, des essences de ritualisation, des ambiguïtés d'apparence, des tumultes de ferveurs antiques et de passions populaires du régime spectaculaire d'aujourd'hui. Savamment conduit, le glissement est incessant, entre régimes de représentation chorégraphique assumée au cœur de la complexité de soi (le propos de la danse), et de représentation sportive, qui fait puissamment image tout en feignant de minorer, voire ignorer cette dimension, pour y préférer l'effectivité de l'action.
Vu avec les yeux qu'on porterait sur l'art-performance, il est sans cesse passionnant d'observer comment les lutteurs se dépêtrent de cette situation qui les fait se montrer pour la première fois sur une scène, aux côtés d'artistes, et non dans un stade, en compétition (cela sans ignorer que des dimensions magiques sont entretenues autour de leurs pratiques).
 
Galerie photo de Laurent Philippe

Parmi les trois danseurs figure Ousséni Sako, fidèle compagnon de route du chorégraphe Salia Sanou, mais resté vivre, par choix, le plus clair de son temps à Ouagadougou. Il amène toujours quelque chose d'extrêmement profond, presque secret, transcendé dans ce spectacle, du fait qu'il présente par ailleurs une véritable carrure de lutteur. Ses passages solistes ouvrent des vertiges de transmutation.
Il est une composante tout à fait insolite dans Clameur des arènes. C'est celle de la musique d'Emmanuel Djob, qui cultive un solide répertoire ancré d'abord dans le gospel, et déclinant les nuances des musiques afro-descendantes universelles, entre jazz, groove et swing. Rien là qui s'accorde vraiment avec l'âpre rudesse de l'affrontement dans la lutte. C'en est presque incongru. Or une telle distance ouvre à tout un voyage d'évocation, où se dessine, décidément, l'essence avant tout diasporique, d'une représentation noire à tout jamais disséminée dans la diversité des tous les esprits.
 Gérard Mayen
Le 2 juillet 2014 au Théâtre de l'Agora à Montpellier Danse
Distribution
Conception, chorégraphie Salia Sanou
Avec 12 interprètes : Cinq lutteurs : Adama Badji (Feugueuleu 2), Cheikh Ahmed Tidiane Diallo (Sentel), Bouyagui Diouf (Missionnaire), Babacar Niang (Géant), Ababacar Diallo (Baye Ndiaye) ; trois danseurs : Ousséni Dabaré, Jérôme Kaboré, Ousséni Sako et quatre musiciens chanteurs : Emmanuel Djob (guitare, chant), Bénilde Foko (basse), Elvis Megné (clavier), Séga Seck (batterie)
Musique créée et interprétée en direct par Emmanuel Djob
Scénographie Mathieu Lorry Dupuy
Lumière Eric Wurtz
Création sonore Hughes Germain
Régie générale Rémi Combret

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