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« On s’en va » de Krzysztof Warlikowski

On s’en va, mise en scène Krzysztof Warlikowski, d’après un texte d’Hanokh Levin, en polonais surtitré en français et anglais.

Il y a treize ans, le metteur en scène polonais avait monté la pièce Krum, texte du même auteur israélien d’origine polonaise. A cette occasion, il intégrait un texte de Tadeusz Kantor, extrait de Je ne reviendrai jamais présenté au Théâtre National de Chaillot en 1988. Plus de vingt ans après dans ce même théâtre, un autre fragment de cette œuvre fait l’ouverture de sa nouvelle création, une référence à un théâtre de la mort où le temps présent n’a aucune perspective.

À l'époque, Tadeusz Kantor débutait son spectacle par ces mots : « Dans un instant j’entrerai dans un bar misérable et douteux. Longtemps j’ai marché vers lui des nuits durant. Sans sommeil. J’allais à la rencontre de spectres ou de gens. Dire que depuis maintes et maintes années, je les crée, serait exagéré. Je leur donnais vie, mais ils donnaient d’eux-mêmes. Ils n’étaient pas faciles, ni obéissants. Longtemps ils cheminèrent avec moi et peu à peu, ils s’arrêtèrent sur diverses routes, à diverses haltes. Maintenant nous devons nous rencontrer. Peut-être pour la dernière fois. Comme lors de la fête des morts polonaise ».

Ce texte ancien est un bon résumé de ce nouveau spectacle, une adaptation de Sur les valises, comédie en huit enterrements, d’Hanokh Levin. Au théâtre comme à l’Opéra, Krzysztof Warlikowski impose une esthétique ou le corps de ses interprètes répond à des mouvements presque chorégraphiques dans un espace de jeu ouvert spécifique à son écriture. Sur le plateau, le jeu caractéristique très physique de ses comédiens est lui-même limité par un travail lumière sophistiqué de Felice Ross. 

Galerie photo © Magda Hueckel

Cet espace est créé par sa scénographe, Malgorzata Szczęśniak, qui collabore avec le metteur en scène depuis plusieurs dizaines d’années.  Ici, nous voyons au lointain une galerie de portes vitrées, la chambre mortuaire. À cour, des chaises et des tables, une entrée de toilettes pour femmes et hommes, fermée en avant-scène par une baie vitrée ; et à jardin, une porte entourée de deux canapés. Au-dessus du décor, une vidéo relaie des images de synthèse en fond de plateau comme souvent chez ce metteur en scène, ou le selfie vidéo d'un des personnages.

La pièce est construite autour d’une succession d’enterrements pourtant, nous assistons à une danse de mort paradoxale, à une sorte de cabaret ultime, où chacun des personnages n’arrive pas à partir comme dans les pièces d’Anton Tchekhov. Anokh Levin fait dire aux personnages : « On pleure mais on sait bien qu'on va vivre […]. Les gens d'ici sont obsédés par leur passé ». Un fils cherche à enfermer sa mère dans un asile, elle s’échappe en permanence et c'est lui qui finira par mourir avant elle. La musique de Paweł Mykietyn rythme les courtes séquences qui se succèdent comme des petits courts métrages entrecoupés de noirs. A chaque enterrement s'affiche le nom et les dates du défunt. Après presque chacun de ces événements, une danse en solo ou en duo nous fait retourner à la vie.

Tous les comédiens sont remarquables, ils forment une unité, un groupe, que nous avons du mal à quitter après trois heure trente de spectacle avec entracte. Ils nous invitent à rester dans la fiction de cette pièce où dans le réel, à nous de choisir. La mort, sauf quand elle est intégrée dans la religion, reste un sujet tabou dans notre société. Une mort qui est ici souvent liée à la sexualité, le sexe dans sa crudité restant peut être le seul moyen de la combattre : « Il se fera sucer par les vers de terre aujourd’hui ».

Krzysztof Warlikowski, entouré de son équipe exceptionnelle de comédiens du Nowy Theatr de Varsovie, réalise-t-il ici un spectacle prémonitoire ? Seul l’avenir nous le dira ! Le metteur en scène dit : « Aujourd’hui, la Pologne va direct vers la sortie de l’Union Européenne, vers la fascisation… La zone de liberté est efficacement limitée dans différents domaines de la vie. Un départ devient une alternative que doit envisager chaque personne qui respecte sa liberté ». Même si il nous dit « On s'en va », en aucun cas cas le metteur en scène ne quittera son groupe d’artistes. Il est le chef d'une meute qui porte l'art du théâtre à un haut niveau dans le monde entier. 

Jean Couturier 

Vu le 12 novembre 2020

 

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