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Rudra, aujourd‘hui et demain – entretien avec Michel Gascard

L’école Rudra à Lausanne organise sa prochaine audition internationale le 4 et 5 avril. Les inscriptions en ligne sont ouvertes : http://www.bejart-rudra.ch/pfr_news_01.php

C’est l’occasion de vous présenter l’univers de cette école à travers une interview de Michel Gascard, son directeur (même s’il n’aime pas ce mot ; voir plus bas… ). Ancien soliste des Ballets du XXe siècle et du Béjart Ballet Lausanne, il dirige l'école Rudra à Lausanne depuis 2007.

Au lieu de détailler ici son parcours, on vous invite à découvrir cette présentation aussi claire que succincte sur le site de l’école,  avant de poursuivre par la lecture de notre entretien exclusif.

Danser Canal Historique : La cantine de Rudra est surplombée par une photo de Maurice Béjart et les murs sont décorés d’affiches de la compagnie. Quelle est votre place au milieu de ses souvenirs en tant que directeur, poste que vous occupez depuis sept ans?

Michel Gascard : Mon lien fort avec Maurice Béjart représente pour moi un devoir de transmission, de passer ce que j’ai reçu de ce grand maître et humaniste. Ca fait partie des étapes de la vie. Concernant l'école il s'agit de poursuivre sa dynamique pédagogique, de la mettre dans une prédisposition à aborder le travail et les idées de Maurice Béjart, de continuer dans une filiation profonde de sa pensée et en même temps d'être moi-même.

Il m'a rapidement parlé de son intention de reconstruire une école et m'a demandé à l'aider à la structurer pour développer un concept pédagogique adapté à l'époque, en réservant aux arts martiaux un rôle plus important qu'à Mudra. Il voulait une école plus resserrée que Mudra qui était très ouvert. Face à un monde qui se déstructure il voulait aider les adolescents à se structurer mentalement et produire des choses plus claires, plus écrites en danse plutôt qu'une recherche à tout-va. Depuis 1990 nous essayons de tenir ce chemin à Rudra. Par ailleurs, je n'aime pas le mot de directeur. Quand je dansais, j'étais le lien entre la pensée de Béjart et le public. Aujourd'hui je me vois comme le lien entre les élèves et les professeurs, les élèves et leur carrière, leurs espoirs.

DCH : Comment avez-vous fait évoluer l'école ?

Michel Gascard : Je n'ai jamais introduit de changements abrupts. À mes yeux il faut surtout faire évoluer la pédagogie et mettre l'école à l'heure des jeunes du monde entier qui viennent chez nous pour répondre à leurs attentes légitimes. Par exemple, mettre à disposition plus de supports littéraires en lien avec notre enseignement, des supports musicaux, des travaux de recherche, des visions du monde. Il faut aussi que les jeunes puissent exprimer leurs joies, leurs colères, leur passion, leur désarroi. Il faut aussi les aider à devenir des auteurs.

DCH : Quel est le profil des professeurs ?

Michel Gascard : Il faut que les jeunes puissent trouver une nourriture qui serve à leur construction, qu'ils viennent d'Australie, d'Amérique latine, de Russie, d'Amérique du Nord... Actuellement il y a dix-huit nationalités. Ça veut dire, il faut que nos professeurs aient une vision globale du monde, pas seulement une vision analytique concentrée sur leurs cours. C'est très compliqué à réaliser, mais d'autant plus important que nous travaillons avec nos enseignants sur la durée. Il faut arriver à construire des classes carrément académiques et ritualisées qui soient en même temps ouvertes sur la culture actuelle. Cela exige beaucoup de patience et un travail méthodique. Il y a aujourd'hui peu de pédagogues qui en soient capables.

DCH : Quelles sont les disciplines enseignées à Rudra ?

Michel Gascard : L'enseignement repose sur deux piliers et verticalités, un peu dogmatiques même, qui sont la danse classique et le Kendo, l'art martial du sabre. S'y ajoute un axe horizontal permettant aux élèves de travailler sur leur personnalité. Il inclut technique Graham, danse moderne, théâtre, rythmes et percussions, chant, improvisation, construction chorégraphique et analyse du répertoire par exemple Graham ou Béjart.
Il faut trouver le sens d'un geste, au-delà de son exécution. C'est ce qui fait la différence entre une marionnette et un interprète. Trouver la raison d'un geste prend aujourd'hui chez les jeunes beaucoup plus de temps qu'avant. Ce n'est pas une question de talent, mais de schéma et un signe de l'évolution de la société en général.

 

DCH : Quels sont les cours que vous dispensez vous-même ?

Michel Gascard : Personnellement, je donne les cours de danse classique, d'improvisation et d'étude du répertoire Maurice Béjart, ce qui est tout à fait particulier à Rudra, mais indispensable puisqu'il faut bien lire ses classiques ! En complément, j'invite des professeurs pour des stages en danses traditionnelles de cultures diverses, de tragédie, de masque neutre, de clown et autres. Je prépare aussi le montage de tous nos spectacles. 

DCH : En effet, d'autres artistes chorégraphiques suisses m'ont confirmé que les spectacles faits par les élèves de Mudra sont de grand intérêt.

Michel Gascard : En effet, nous en créons six ou sept par an. C'est là qu'on apprend son métier. Je dis souvent que le public est l'ultime professeur. Ce qui est important dans un spectacle de Rudra, c'est de présenter les étapes de la construction. Et les gens s'étonnent de voir quelque chose qui les amène dans un voyage et un rêve et leur donne en même temps à comprendre l'alchimie et l'évolution du sens pédagogique de Rudra, et donc de Maurice Béjart. J'aime montrer tout cela parce que le public aime à comprendre et à disséquer les méandres d'une création. En même temps cette attention du public fait comprendre aux élèves la construction de leur propre parcours d'apprentissage au sein de Rudra. C'est pourquoi ces spectacles ont beaucoup de sens pour moi.

 

DCH : L'idée d'aider à l'éclosion de personnalités artistiques complètes va dans le même sens que la démarche pédagogique à P.A.R.T.S. ou ex.e.r.ce, créé par Mathilde Monnier à Montpellier. Mais il y faut avoir un certain bagage. Il me semble qu'à Mudra vous acceptez aussi des débutants?

Michel Gascard : J'ai accepté des élèves débutants autant que des personnes très avancées, même si au quotidien cela  peut poser problème aux professeurs dans leurs cours. D'autres sont par exemple venus du théâtre. Le but est avant tout de trouver des personnalités avec lesquelles nous ne nous ennuyons pas. Si nous y arrivons c'est aussi parce que l'école n'est pas payante. La gratuité est en soi un facteur qui crée un ensemble d'élèves aux horizons les plus divers. C'est possible grâce au mécénat offert par des fondations qui croient en nous et aux valeurs que nous défendons. Là aussi il faut croiser les bonnes personnes au bon moment et créer des affinités. Si vous saviez comme c'est difficile...

DCH : Pour vous, tout mène à la danse et la danse mène à tout ?

Michel Gascard : La danse est pour moi très ouverte, au-delà des catégories, classique, contemporain etc. Ce qui importe est d'apprendre à "danser sa vie". C'est quelque chose de plus profond que d'acquérir une gestuelle de danseur. C'est aussi une attitude spirituelle et mentale de danseur. L'école amène les jeunes à se découvrir eux-mêmes et à développer cette aptitude à "danser sa vie". Et on peut trouver des élèves de Rudra au Cirque du Soleil ou au Cirque Eloize. D'autres vont à Broadway ou deviennent par exemple chirurgien. L'école sert à se trouver soi-même et c'est difficile puisqu'il faut de plus en plus de temps pour qu'un jeune arrive à se construire. Par contre, si des institutions ont besoin, pour se rassurer, de mettre les individus dans des cases, c'est bien dommage. Et à part Rudra, il y a d'autres belles écoles de danse partout dans le monde. Il faut que l'élève trouve la qualité d'école qui lui correspond.

DCH : La formation à Rudra reste-t-elle un vivier pour le Béjart Ballet Lausanne ?

Michel Gascard : Environ deux danseurs sur trois de la compagnie sont issus de Rudra. En 2014, trois de nos diplômés ont été embauchés par Gil Roman. Mais l'école ne cible en aucun cas le BBL ou une autre compagnie dans le monde, où les chorégraphes choisissent en fonction d'un emploi recherché à un moment donné. Aujourd'hui ce critère est primordial. Aucune compagnie n'emploie plus de danseurs que le nombre strict dont elle a besoin au quotidien. Même le costume peut être un critère, pour éviter d'avoir à refaire le même à une taille différente. Un costume peut coûter très cher.

DCH : À quel âge entre-t-on à Rudra ?

Michel Gascard : Les élèves ont entre 16 et 19 ans en arrivant. Nous essayons de déceler ceux qui sont dans leur phase de recherche, ce moment très fragile et subtil de la vie où on est complétement engagé dans cette quête de sens, ce moment où tout est possible et accessible. À 23 ans, on est déjà dans autre chose, les priorités ont évolué. D'autres arrivent chez nous à un moment de la vie où il est encore trop tôt.

DCH : Comment choisissez-vous vos élèves?

Michel Gascard : S'ils sont au bon moment, ça se voit dans leur regard, entre autres. On me propose assez souvent d'aller dans des lieux où on réunit beaucoup de danseurs et de directeurs d'écoles et on leur dit: Regardez et faites votre choix. Je trouve ça injuste vis à vis des danseurs. Chez nous on accueille les candidats pendant deux jours. On parle beaucoup avec eux et leur propose de danser, de chanter etc. On scrute leur envie de travailler avec nous et la possibilité d'un engagement mutuel, dans un respect réciproque.

DCH : Y a-t-il un suivi après la formation à Rudra?

Michel Gascard : Nous ne voulons pas qu'ils vivent avec une béquille, mais qu'ils s'épanouissent par leurs propres moyens. C'est la seule façon. Par contre ils sont toujours les bienvenus pour prendre un cours, pour papoter ou plus, s'ils se trouvent dans une situation vraiment difficile.

DCH : Et vous-même? Comment êtes-vous venu à la danse?

Michel Gascard : Ma mère est une formidable professeure de danse qui a construit une école de danse nationale magnifique en France. Elle a beaucoup enseigné à travers l'Europe et bien sûr au Ballet du XXe siècle mais aussi chez Preljocaj par exemple. Quand j'avais seize ans elle m'a regardé et m'a dit: Il y a un tout nouveau concours qui vient de se créer à Lausanne. Et si nous y allions tous les deux pour voir où nous en sommes, toi dans ton évolution et moi en tant que professeur ? Je me suis remis au travail et j'ai remporté la première édition du Prix de Lausanne. La directrice du Concours était Rosella Hightower, sans parler de Maurice Béjart qui œuvrait en arrière-plan. Mais il n'a jamais accepté de jouer un rôle officiel dans aucun concours. Il a cependant accepté de m'accueillir à Mudra. Je suis allé à Bruxelles avec ma mère pour le rencontrer et je suis entré dans son école en 1973.

DCH : Mais vous êtes très vite entré dans la compagnie?

Michel Gascard : En mai 1974 Maurice Béjart a organisé une audition internationale. Je n'avais alors fait que huit mois de Mudra, mais suite à une pulsion arrogante et effroyable, je suis entré dans l'audition par effraction, car l’accès m'était officiellement interdit. Du coin de l'œil j'ai aperçu Béjart qui disait : non, non, laissez-le faire! À la fin j'ai dansé les variations, les improvisations, le moderne, le classique et tout et tout.

Après, Maurice m'a fait entrer dans son bureau et m’a demandé: Mais que se passe-t-il à l'école qui ne va pas ? Pourquoi veux-tu entrer dans la compagnie alors que tu n'as que dix-sept ans ? Ingénu que j'étais, j'ai répondu: Je n'en peux plus de la théorie, je veux pratiquer, être sur scène. Il a accepté à condition qu'en plus du planning de la compagnie, je continue à travailler à l'école, ce que j'ai fait pendant cinq ans.

Je prenais le cours de l'école à huit heures et demie, celui de la compagnie à onze heures, je participais aux répétitions et le soir, je prenais le cours du conservatoire. Les cours de Mudra finissaient à 14h le samedi à Bruxelles. Je prenais le train pour Cologne, j'allais à l'Académie nationale chez Peter Appel. Je prenais le cours le samedi soir et le dimanche j'avais deux à trois heures de cours privé avec Peter Appel. Je rentrais le dimanche soir et le lundi matin à 8h30 je recommençais. Et ce toute l'année. J'ai aussi continué les cours de chant pendant dix ans.

DCH : Ce zèle ne vous a pas valu des genoux abimés ou autres problèmes physiques?

Michel Gascard : C'est l'inverse! La rigueur et la discipline, voilà ce qui permet de survivre. Il faut avoir le courage de ses ambitions. Même si j'aime la vie, l'amour, la fête... Après, certes, il faut une bonne nature. Merci, Dieu...

Propos recueillis par Thomas Hahn

 

 

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