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Rita Cioffi: « Je m'efforcerai de te suivre (titre provisoire) »

La chorégraphe italienne et la comédienne Stéphanie Marc explorent Michel Houellebecq

Il faut aimer l'univers de Michel Houellebecq pour suivre Rita Coffi quand elle s'efforce de suivre l'auteur dans son désenchantement grincheux. Une telle rencontre entre danse et texte n'a rien de naturel. Va pour les poèmes qui révèlent l'auteur dans une veine moins désabusée, et qui font le début de la proposition. Mais la performance de Cioffi et Marc est loin de les porter comme la voix d'un Jean-Louis Aubert. L'ancien chanteur de Téléphone a mis en musique avec bonheur des poèmes en complicité avec celui qui écrit, à un endroit où il rencontre des accents baudelairiens : « Il faudrait traverser un univers lyrique/comme on traverse un corps qu'on a beaucoup aimé/il faudrait réveiller les puissances opprimées/ la soif d'éternité, douteuse et pathétique. »

Galerie photo : Pierre Neuvéglise

Cioffi puise dans le recueil Configuration du dernier rivage, et ça commence bien. Mais on tombe vite dans les visions crépusculaires et populistes qui font tout le danger du phénomène Houellebecq : « Qui a peur de mourir, a également peur de vivre. » Et donc peur de danser... Déclinée sur un plateau, cette attitude trouve un reflet assez signifiant dans le brouillage de mots et de pixels qui caractérise la création graphique de David Lepolard, projetée sur l'écran de fond. Assis devant son ordinateur, l'artiste visuel partage l'espace avec Cioffi, Marc, et des Dalmatiens mécaniques (parfois très actifs, sans doute grâce à la possibilité d'une pile), représentations ultimes du refus d'aborder la vie comme un terrain à construire. À droite, une imprimante crache des feuilles qui tombent dans le vide, dans une vaine tentative d'extension du domaine de la chute...

Alors, peut-on tout danser, y inclus l'absence de sens contraire ? Créer une pièce de danse contemporaine, c'est parfois mettre son corps en jeu face à d'autres corps, c'est sûrement cheminer et découvrir ensemble, c'est inévitablement aimer ou détester l'autre, mais c'est surtout arrêter de tourner autour de son nombril. Impossible alors de partager le même regard sur l'existence, de ne voir que le verre à moitié vide.

Galerie photo : Pierre Neuvéglise

Montrer par de faux mouvements d'ailes que non, l'humain ne saura voler, c'est aussi simple que de constater que ce n'est pas une voix comme celle d'Houellebecq qui fera avancer le schmilblick. On peut se demander qui lira encore ce que dit le Réunionnais au faux patronyme breton, une fois sa tête disparue des écrans. Mais c'est, comme toujours, l'histoire qui jugera de la pertinence de son œuvre. Nous ne pouvons que constater que s'aventurer, sur un plateau (de danse, pas de TV), à le traverser avec deux corps de femmes, entre théâtre d'ombres sexy et regret de l'enfance (« où retrouver le jeu naïf ? »), c'est un peu tenter le diable pour se perdre dans les marécages des désirs. Du moins, l'interprétation par Stéphanie Marc permet de vérifier que la hantise du vieillissement et le dégoût de soi-même se déclinent tout aussi bien au féminin. Par contre, devoir s'efforcer de suivre quelqu'un, c'est mauvais signe...

Thomas Hahn

18 et 19 mai 2015 Création aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Montreuil,  La Parole errante

Je m'efforcerai de te suivre (titre provisoire)
Chorégraphie, interprétation : Rita Cioffi, Stéphanie Marc
Artiste multimédia : David Lepolard
Scénographie : Abdelamid Belahlou

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