« Rain » par le Ballet de l’Opéra de Paris
Difficile de croire qu’il n’y a que deux « phrases » chorégraphiques dans ce chef-d’œuvre qu’est Rain, pièce d’Anne Teresa De Keersmaeker créé pour sa compagnie Rosas en 2001 et entrée au répertoire du ballet de l’Opéra de Paris grâce à Brigitte Lefèvre, en 2011. Et pourtant c’est le cas. Seulement la chorégraphe les a soumises à toutes sortes de traitements compositionnels pour donner ce miroitement, cette énergie, cette liberté extraordinaires à cette œuvre, pourtant conçue avec une méticulosité toute mathématique.
Galerie photo Laurent Philippe
Au commencement de Rain, donc, une seule phrase chorégraphique longue de deux minutes, tirée d’une pièce précédente In Real Time créée sur la musique jazz rock du groupe Aka Moon et sur le texte de l’écrivaine australienne Kirsty Gunn : Rain. Néanmoins, la charge émotionnelle de ce texte, sensible, dans In Real Time, est, d’une certaine façon, délivrée du drame dans Rain, une pièce étincelante qui se diffracte dans les rayons de couleurs chaudes distillés par la scénographie de Jan Versweyveld et les costumes tout en transparences et iridescences de Dries Van Noten.
Mais, pour en revenir à la chorégraphie et ses origines, Anne Teresa demande à Jakub Truszkowski, danseur de sa compagnie, d’inventer un autre phrase de même durée, antagoniste à la première, et qui serait le pendant masculin de celle-ci.
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Ce qui sera fait. La phrase féminine modulant à partir de la spirale, en élévation, sauts, étirements, qui s’élancent vers le haut, et s’autorise des citations classiques, tandis que les hommes se réservent les chutes, les sauts vrillés à l’horizontale, l’attirance pour la gravité… Au fond, à l’opposé de ce qu’enseignait un des maîtres d’Anne Teresa, Fernand Schirren, professeur de rythme et de percussions à Mudra.
Toute cette architecture chorégraphique croise la partition de Steve Reich, Music for Eighteen Musicians, une œuvre polyphonique et rythmique complexe, qui peut se jouer avec 18 ou 21 musiciens. Le groupe Ictus sous la direction de Georges-Elie Octors et les chanteuses de Synergy Vocals, font scintiller pianos, marimbas, xylophones et métallophones auxquels s’ajoutent violons, violoncelles et clarinettes, et surtout le souffle et la voix de quatre femmes, qui donnent à l’ensemble cette texture moirée qui allie à la dimension respiratoire le flux impérieux de vagues qui submergent une pulsation régulière.
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Ceci posé ne suffit pas pour autant à rendre compte de la fascination qu’engendre la pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, avec ses jeux d’illusions, sa célérité inouïe, ses torsades et ses enroulements qui se déploient dans toutes les dimensions de l’espace, précipitant les corps dans des circonvolutions toujours plus vite, avec une puissance physique, une virtuosité et une endurance époustouflantes.
Se développant sur onze sections, Rain est construite comme un arc qui s’amplifie et irradie à son zénith avant de repartir dans une course qui l’entraîne à son couchant, comme d’un seul jet, avec la clarté de l’évidence.
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Les costumes passent du chair au fuschia avant de s’éteindre en douceur dans des feux argentés, tandis que la danse propose une accalmie dans ses lignes souples.
Mais ce serait manquer une dimension essentielle que s’attacher à la seule forme, car, surgit, dans cette mécanique d’airain, une intensité des rencontres, des éfleurements, des portés tout en délicatesse, qui font de Rain une pièce
profondément sensible, humaine, pulsatile. Tensions et extensions, mouvements en miroir, racontent le désir et la violence, l’apaisement et le chaos, toujours au bord d’un vertige des corps et des cœurs prêts à basculer dans une sorte d’immensité mélodique et rythmique.
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Ouverte et fermée par la course d’un projecteur qui illumine les fils disposés en demi-cercle qui matérialisent cette pluie, Rain est une sorte d’ode à la vie, à la joie, et aux corps qui ondulent dans une lumière d’été.
Les danseurs de l’Opéra de Paris ont su s’emparer de cette chorégraphie à merveille, se coulant avec autant d’engagement que d’intelligence dans cette œuvre magnifique.
Agnès Izrine
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Musique : Steve Reich
Décors et lumières : Jan Versweyveld
Costumes : Dries Van Noten
Ensemble Ictus sous la direction de Georges-Elie Octors
Synergy Vocals
Avec (le 21 octobre) : Valentine Colasante, Muriel Zusperreguy, Christelle Granier, Sae Eun Park, Léonore Baulac, Amélie Lamoureux, Laura Bachman, Vincent Chaillet, Nicolas Paul, Daniel Stokes.
Opéra Garnier, jusqu'au 7 novembre.
À voir sur operadeparis.fr et sur concert.arte.tv à partir du 4 novembre 2014.
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