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« Rafales » de Benjamin Bertrand

Un duo finement tendu, dans un face à face d'aimantations.

Vingt ans après l'avènement de la "non danse", alors que prospèrent performance et déconstruction des attendus de la représentation, on est presque étonné de se rendre compte que bien des pièces créées à ce jour ne semblent rien revendiquer de plus que d'être simplement de belle image et de bonne composition.

A ce commentaire, on ôtera sa pointe d'ironie (s'il en est une) pour relater la création du duo Rafales, par Benjamin Bertrand, qu'il interprète lui-même sur scène au côté de Léonore Zurfluh. On trouve en effet à cette pièce des qualités de consistance et de persistance très convaincantes.  Orages, précédent essai en nom propre de ce chorégraphe encore très neuf, nous avait laissé au contraire sur une sensation de dispersion.

Notons que Benjamin Bertrand affiche déjà de solides états de service en position d'interprète, par exemple pour Olivier Dubois, ou, totalement décalé, Jean-Luc Verna.

Comme Orages, précédemment évoqué, la création de Rafales a bénéficié d'une forte implication de la scène nationale de Poitiers, ville par laquelle est passé son parcours de vie ; et scène nationale qui compte, en son directeur Jérôme Lecardeur, l'une des très rares personnalités rattachées à la danse en exercice dans cette fonction. Rafales a ainsi été créé en plein coeur du Festival A Corps, qui en est à sa vingt-quatrième édition.

On passera rapidement sur la sénographie de cette pièce, pourtant envahissante – et justement parce que cette dimension nous semble sans rapport avec sa nécessité dramaturgique. Soit une grosse soufflerie, qui agite un grand pan de tulles. C'est bruyant à l'oreille, encombrant à l'oeil. On aura été beaucoup plus sollicité par le travail des lumières, signé Abigail Fowler : en clair-obscur, il en découle une nuance générale de vif-argent, sur des peaux virant à l'albâtre. Cette étrangeté se redouble dans les costumes de Cédrick Debeuf, énigmatiques kilts en cottes de mailles dont la coupe unisexe se renforce par l'affichage torse nu du danseur, mais aussi de la danseuse, dans ce cas plutôt tirée vers un plan d'équivalence de traitement.

Cette même neutralité s'observe dans les qualités de présence de Léonore Zurfluh et Benjamin Bertrand. Ce n'est pas qu'ils se confondent : la danseuse fascine par une entièreté de présence trempée d'absolue tranquillité, tandis que le phrasé du danseur, ses mimiques aussi, sont plus diserts. Mais jamais la relation entre les deux ne traduit quoique ce soit qui serait de l'ordre d'un ascendant, d'une dissymétrie, d'une hiérarchie.

Or il y a bien quelque chose de magnétique dans cette relation où une distance savamment entretenue ménage une forme d'aimantation entre deux pôles. Une belle inventivité gestuelle se développe, mais encore sur ce plan, c'est une ligne d'équilibre et de constance qui l'emporte dans ce duo solidement incarné, et pour autant abstrait au-delà du seul principe de se développer en conjonction dans l'espace. Tout bouge et rien ne bouge, et c'est bellement ce paradoxe qui polarise.

Souvent en face à face, voire étonnamment front contre front pour soutenir toute une figure gémellaire, la transaction entre corps se travaille dans une ondulation des répliques, et se développe par fines transitions. Par exemple, un mouvement magnifique vient à se dessiner, où les deux partenaires se répondent dans une logique de rotations progressives réciproquement inverses, jouant d'une torsion contro-latérale entre ceinture pelvienne engagée dans une direction, et ceinture scapulaire dans l'autre. Cela serait déjà intéressant sur un seul corps. On y capte une excitation envoûtante lorsque deux corps se le jouent dans ce balancement de réplique symétrique inversée.

Hormis son léger errement dramaturgique – dont la relance empesée des machineries avant de conclure – Rafales creuse son impact dans la durée, en tissant sa matière obstinée de sobre franchise des corps, qui s'impliquent dans un dialogue de forces sourdes et malléables.

Gérarad Mayen

Spectacle vu le mercredi 28 mars à Poitiers, Centre de Beaulieu, dans le cadre du Festival A Corps.

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