Quelle(s) danse(s) pour le monde après le confinement - vol. 2
Chaque jour du confinement, Anatoli Vlassov fait danser les mots, chez lui et dans la rue.
Laissons pour un moment en suspens la question de l’après. Nous y reviendrons. Comment danser pendant le confinement, c’est une question qui contient aussi celle de l’après. Le chorégraphe et chercheur Anatoli Vlassov développe depuis plusieurs années une approche qu’il a baptisé « phonésie » : une « pratique performative d’articulation du geste et du langage ».
Chaque jour il improvise sur des mots et des sonorités, à travers des gestes, en streaming sur sa page Facebook. Chaque jour, à 17h30 et ce jusqu’à la fin du confinement. Le concept est né bien avant, mais le contexte actuel, où les soi-disant média sociaux ont quasiment monopolisé les interactions humaines, a ouvert une nouvelle dimension, interactive, à la pratique de la phonésie.
Pendant qu’il performe pour celles et ceux qui regardent en live, Vlassov tournoie, éructe, poétise son environnement, la caméra le suivant ou le précédant. On devine qu’il la tient lui-même de sa main droite. Rien à voir avec les vidéos virevoltantes témoignant de manifestations etc. L’image est stable et la performance est autant visuelle. Et interactive. Ici, pas de spectateurs, mais des spect-acteurs qui lui lancent, via Facebook, des mots ou des idées que Vlassov intègre illico dans son jeu chorégraphique et verbal. Pendant et surtout après le live, se construit ce qu’il appelle un « éco-système créatif » où « certains spect-acteurs ont pris l’initiative d’interagir avec moi non seulement à travers des mots isolés (comme il était proposé) mais aussi avec de la poésie, des objets, des dessins, des photomontages et des mixages sonores. »
Ces créations peuvent à leur tour inspirer la prochaine apparition de Vlassov devant sa caméra et dans ses espaces privés ou publics. Quand il performe en se promenant et en virevoltant sur les trottoirs, l’effet du confinement est plus visible que jamais. Seules les rues vides de passants permettent cette liberté de mouvement. Liberté paradoxale puisqu’elle découle d’une privation de liberté pour tous.
On songe à Michel Crespin (1940-2014), pionnier des arts de la rue et fondateur d’un Festival d’Aurillac qui définissait la rue comme une « scène à 360° ». Jamais cela n’a été aussi vrai qu’avec la « danse parlante » d’un Anatoli Vlassov quotidiennement déconfiné entre 17h30 et 18h. On entend bien sûr, à travers ses performances vocales et mouvementées, les ombres et les échos de Gherasim Luca et de la poésie-action de Julien Blaine.
Qu’en sera-t-il après le confinement? Est-ce que #DanseAvecLesMots pourra continuer? C’est aussi la suspension des activités professionnelles qui permet à Vlassov de proposer actuellement ses live quotidiens. « Peut-être passerai-je des performances quotidiennes aux performances hebdomadaires », dit-il. Mais sans aucun doute, le confinement a ici fait avancer une recherche interactive et participative, si ce n’est une œuvre collective.
Thomas Hahn
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