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Programme Forsythe/Mazliah à Chaillot

Sheela Na Gig de Fabrice Mazliah, Quintett  et One Flat Thing, reproduced de William Forsythe : un superbe programme du Ballet de l’Opéra de Lyon

Fabrice Mazliah - William Forsythe : l’attelage présenté par le Ballet de l’Opéra de Lyon au Théâtre national de Chaillot peut sembler singulier. Difficile, en effet, d’imposer quelque pièce que ce soit avant ou après Quintett et One Flat Thing, reproduced, les deux œuvres du maître au programme.

La filiation, pourtant, n’est pas si artificielle qu’il n’y paraît. D’abord parce que le Suisse Mazliah, formé à l’Ecole nationale de danse d’Athènes puis à l’atelier Rudra Béjart, a été pendant dix ans interprète du Ballet de Francfort. Devenu entre temps chorégraphe, il a même créé en 2015 Act and Thought pour la clôture de la Forsythe Company.

Ensuite parce que ses recherches sur le mouvement offrent quelques résonances avec le travail sur l’improvisation au cœur de la veine expérimentale de l’Américain. Enfin parce que mettre en regard les classiques de la danse contemporaine et les créations d’aujourd’hui fait partie des missions, remplies haut la jambe, que s’est assigné depuis des années l’excellent ballet de l’Opéra de Lyon.

L’actuelle direction de Julie Guibert maintient avec conviction ce cap, comme l’a récemment prouvé la série des solos commandés à une palette éclectique de chorégraphes en parallèle des reprises, toujours bienvenues, du riche répertoire de la troupe. Autant de raisons, donc, d’apprécier d’un œil ouvert la pièce que l’artiste et pédagogue - il mène notamment des ateliers pour amateurs et professionnels - a créée le 4 novembre 2021 en réponse à une commande du ballet lyonnais.

Fidèle à la démarche Forsythe, Fabrice Mazliah a donc souhaité « danser ce qui était composé comme si c’était improvisé, et improviser ce qui est chorégraphié », ainsi qu’il l’explique dans une interview réalisée l’an passé. A ses six interprètes féminines, il a proposé de confronter leurs états de corps les plus intimes aux stéréotypes de la féminité et de la danseuse, chacune puisant à cet effet dans son propre répertoire de chansons populaires. Pas plus que le thème choisi, ce recours au travail de la voix, devenu l’un des outils favoris des contemporains avec son alternance de cris, souffles, chant, solos et unissons, n’offre ici d’originalité particulière. La pièce vaut essentiellement par l’engagement sans faille des danseuses – dont on regrette d’ailleurs que le programme ne spécifie pas les noms –, qui parviennent à maintenir sur le fil l’attention des spectateurs. Et même si ce fragile équilibre menace plusieurs fois de se rompre, il faut remercier Sheela Na Gig - appellation qui désigne des figures féminines sculptées grotesques et au sexe hypertrophié, présentes dans certaines églises de Grande-Bretagne –  d’avoir offert à ces valeureuses ce libre espace d’expression au féminin.

Les deux œuvres suivantes, pour avoir été maintes fois vues et revues y compris par la troupe de Forsythe, n’en gardent pas moins leur attrait puissant. Quintett, servi par cinq interprètes au mieux de leur forme - notamment un magnifique « danseur en noir », chacun étant ici identifié par la couleur de son costume - alternait avec une précision millimétrée ses duos et solos virtuoses. Même si la présence en fond de plateau d’une trappe qui happe successivement les danseurs, évoquant une disparition soulignée par la litanie funèbre du « Jesus’Blood… » de Gavin Bryars, donne à la pièce une tonalité métaphysique voire tragique, prédominait ici le sentiment d’un élan de vie dévastateur, comme si chaque mouvement et chaque étreinte devaient être les derniers.

Lui succédait One Flat Thing, reproduced, impeccable tentative oulipienne d’épuisement chorégraphique de danseurs avec tables –  à moins que ce ne soit l’inverse…!

La troupe relevait la contrainte imposée par ‘ces choses plates’ avec une spectaculaire énergie à laquelle manquait peut-être juste un soupçon d’abstraction géométrique. Péché véniel pour un ballet de Lyon qu’on s’est réjoui de retrouver à son meilleur avant la prochaine entrée à son répertoire, le 28 juin prochain, de Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne on entendit un hurlement) de Pina Bausch.

Isabelle Calabre

Vu le 2 juin 2022. Jusqu’au 10 juin 2022 à Chaillot – Théâtre national de la Danse,  à Paris.

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