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« Private Song » d'Alexandra Bachzetsis

Cultivant un entre-soi fort chic et des références confuses, Private Song gâche une belle matière : le rebétiko, genre musical créé en Grèce dans les années 1920, qui aurait mérité plus d'attention- et les belles qualités d'interprète d'Alexandra Bachzetsis, qui en est aussi la chorégraphe.

La tentation, aussi simple que redoutable, guette toute œuvre chorégraphique de type documentaire  : l'entre-soi dogmatique. On objectera que Private Song, la nouvelle pièce d'Alexandra Bachzetsis présentée en ouverture des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis ne prétend pas explicitement relever de la catégorie documentaire… 

Pourtant, en se penchant avec une certaine tendresse sur le rebétiko, ce genre musical grec particulièrement populaire né à la fin des années 1920 sous l’impulsion de flux migratoires, la chorégraphe épouse les logiques de ce genre et n'en évite pas les écueils, à savoir la certitude profondément inscrite que LE propos doit être évident à tous, fors les imbéciles, évidemment… Que nous sommes tous !

Private song prend immédiatement la suite d'une pièce précédente, Private : wear a mask when you talk to me(qui contrairement à ce que l'on pourrait croire est bien antérieur à la pandémie puisqu'elle date de novembre 2017) que la présente création évoque explicitement : la chorégraphe-interprète entre en scène portant cette robe de latex noire très suggestive qui avait marquée sa prestation dans la pièce précédemment évoquée… Nous sommes bien dans la citation. Pour l'heure, Alexandra  Bachzetsis demande à un spectateur de passer un peu de bombe à reluire sur le latex, effectue quelques pompes, fait dézipper sa robe et s'asperge les cheveux. Un comparse entre à jardin tandis qu'à cour elle se déshabille. S'ensuit une séquence de lutte mêlée de postures franchement sexuelles qu'interrompent des exercices de musculation. 

Le tout ne manque pas d'une ironie certaine. Un tiers intervient qui, bellâtre, se prélasse. Puis de nouveau des entraînements gymniques et, surtout, des interprétations de chanson en grec : le fameux rebétiko ! A la fin, les comparses tirent le tapis vers le fond du plateau, largement ouvert, où l'un des deux hommes, en silence et au ralenti danse une manière de sirtaki lent et concentré quoique nostalgique qui induit une fin assez poétique. On rappellera au passage que le sirtaki n'a rien d'une danse traditionnelle grecque, mais fut inventé pour le film de Michael Cacoyannis, sorti en 1964, Zorba le Grec.

Tout cela ne déplaît pas. Mais la pièce, assez décousue, laisse la sensation qu'il y a là plusieurs sujets qui se télescopent et qui, juxtaposés, ne parviennent pas à faire sens. Alors, pour reprendre : le rebétiko, musique urbaine teintée d'Asie Mineure, rythmes orientaux et bouzouki, constitue une sorte de rapport désuet et touchant d’une culture dont on peut aisément comprendre qu'elle importe à l'artiste qui bien que zurichoise revendiquerait des origines grecques.

Après tout, même quand ce n'est pas notre genre musical préféré, on peut vibrer quelque peu au son d'une java ou d'une chanson réaliste à la Fréhel, par nostalgie ou tradition familiale. Private Song se consacre au rébétiko, mais pourquoi le lier à ces exercices de gym et ces clichés sur la masculinité ? S'il y a un rapport, cela ne transpire guère du propos qui confond un rien exposition et construction.

Alors faut-il lire les textes de l'ostentatoire livret (production Dokumenta, cela vous place une performeuse !) pour comprendre… Mais outre qu'écrit en grec et traduit en anglais et en allemand, cela exclut pas mal de monde de la compréhension (ainsi le cher entre-soi dont il était question plus haut). D'où est-il nécessaire de comprendre une œuvre chorégraphique ? Il faut un mode d'emploi ? Des didascalies ? Un guide ? Et signalons au fumeux auteur de baratin qui disserte en anglais sur le parergon dans le programme, que ce fameux concept ne tient pas seulement au cadre, mais encore à « ce qui signifie qu'il s'agit d'une œuvre et fait cohérence » (Jacques Derrida, La Vérité en peinture, Champs Flammarion, Paris, 1978, p71). Dans le cas présent, il aurait été nécessaire de faire un peu plus cohérence ! A part cela, Alexandra Bachzetsis danse fort bien quand elle y consent et chante remarquablement. Parfois cela suffit. Elle peut garder les parergons, le lever de rideau en est un.

Philippe Verrièle

Vu le 19 mai 2021 au Nouveau Théâtre de Montreuil

Rencontres Chorégraphiques internationales de Seine Saint-denis 

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