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Pharenheit : Nina Santes créé « Hymen Hymne »

Une séance de « sorcellerie » dansée et chantée pour engager la décolonisation des esprits et des corps. Créé à Pharenheit au Havre, Hymen Hymne sera programmé les 15 et 16 février au CDC- Atelier de Paris.

Le phantasme de la Sorcière fait partie des grandes projections de l’image de la femme, aux côtés de la Sainte et de la Putain. Ensemble, elles forment une sorte de Triangle des Bermudes où le regard de l’homme fait couler la réalité féminine.

Hymen Hymne tente de s’approprier l’image de la Sorcière, une construction sociale selon Nina Santes, qui demande: Qui sont les sorcières d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est tapi dans l’obscurité  Quel est l’envoûtement qui agit sur nous ?

Envoûtement vocal et visuel

Si l’on se pose cette dernière question par rapport aux spectateurs qui viennent voir - si ce n’est participer à - Hymen Hymne, l’envoûtement est autant vocal que visuel. On assiste à un processus de transformation permanente des cinq danseuses-chanteuses (dont un homme, mais il se nomme Soa de Muse), grâce à des masques et autres accessoires shamaniques, à des clairs-obscurs encorcelants ou des ombres jetées sur les murs.

Mais au début était le chant. Lentement une chanson, brésilienne et un brin mystérieuse, prend possession de Santes, avant de contaminer ses acolytes. Et on assiste, déjà, à l’acmé du trouble et des frissons. Car aucun artifice n’est ici employé, et nous sommes encore des spectateurs vierges, comme des feuilles blanches sur lesquelles Hymen Hymne va s’imprimer.

Des feuilles comme celles, soulevées en entrant dans la salle, sur lesquelles sont imprimées des questions comme « Comment soulever la terre? » et tant d’autres. Questions rhétoriques, bien sûr, répétées vocalement à la fin : « Comment faire l’amour / renverser les rapports / faire brûler des dictateurs / manger des sexes / décoloniser nos corps ? » Etc…

Hymne national de la mort

Des questions comme s’il en pleuvait, des questions qui disent le désir de bousculer des rapports dominateurs, envisager les relations de façon non violentes et non hiérarchiques. On chante L’hymne national de la mort  et l’homme reçoit une sépulture ritualisée, pour emporter avec lui les mauvais esprits et permettre aux femmes d’évacuer les énergies violentes. Autour du tombeau elles déclenchent une dernière tempête des corps. Magnifique.

L’idée de décolonisation s’applique ici aussi aux spectateurs qui sont invités à rejoindre les performeuses en circulant librement dans l’espace. Mais ils peuvent aussi monter dans les gradins pour avoir une vue d’ensemble. Le renversement total du rapport frontal et immuable fait sens pour ce spectacle et est d’autant plus à saluer que la France accuse un manque endémique de propositions envisageant un autre rapport entre les interprètes et les spectateurs.

Les rares créations en ce sens qui sont diffusées en France sont par ailleurs souvent le fait d’artistes venus d’ailleurs (Lia Rodrigues, La Fura dels Baus…) alors que la France possède une expérience particulièrement riche en matière des spectacles dans l’espace public. Mais même là, le rapport frontal est dominant.

Un pas vers la décolonisation

La tentative de Santes est donc salutaire, même si elle a besoin d’être mieux articulée dans son rapport au public. Car au bout du compte, d’image en image, et aussi envoûtant que certains tableaux puissent être - Santes faisant bon usage de son expérience dans les arts plastiques et la mode - on traverse une exposition vivante, voire un catalogue. L’équilibre fragile entre une expérience vivante et le discours - verbal ou non-verbal - s’en trouve bousculé en faveur du discours.

On est loin de la magie que peut créer la confrontation avec l’altérité dans les spectacles de Lia Rodrigues. Mais celle-ci possède une longue expérience en la matière et Hymen Hymne n’est qu’au début d’un périple qui lui permettra sans doute de mieux orchestrer la succession des tableaux et surtout la présence croisée des performeuses et des spectateurs, science artistique à part entière.  La part de discours se cache aussi dans l’utilisation d’objets et les moments les plus envoûtants du spectacle sont ceux où la création d’un ailleurs ne réclame rien d’autre que le corps et la voix.

La décolonisation envisagée par Santes et son équipe ne fait donc que commencer et devrait réussir à tracer sa route. Hymen Hymne est par ailleurs le premier projet réalisé dans le cadre de Constellations, un nouveau réseau de résidences chorégraphiques internationales impliquant la France (per le Quartz à Brest), la Grèce (KET - Athènes), le Liban (Al Mantara à Tannourine) le Chili (Nave à Santiago) et l’Allemagne (la Fabrik Potsdam près de Berlin).

Thomas Hahn

Spectacle créé et vu le 24 janvier 2018, CCN du Havre, festival Pharenheit

Hymen Hymne

Conception :  Nina Santes
Réalisation et interprétation : Soa de Muse, Nanyadji Ka-Gara, Nina Santes, Betty Tchomanga, Lise Vermot
Création lumière :  Annie Leuridan
Consultants travail vocal :| Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Olivier Normand

Tournées

15 - 16 février 2018  CDC Atelier de Paris - Carolyn Carlson

14 - 17 mars 2018  Festival DañsFabrik, Le Quartz, Scène Nationale de Brest

 

 

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