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« Passione » d'Emio Greco et Pieter C Scholten

On ne pourra surtout pas reprocher au chorégraphe Emio Greco ni à son partenaire plasticien scénographe Pieter C. Scholten de se rouler les pouces depuis qu'ils ont pris conjointement la direction du Ballet national de Marseille. Dès le printemps 2015, la grande pièce Le corps du Ballet de Marseille dressait un portrait vif de cette formation, dans ses usages, héritages, et inscription dans la cité. Ensuite pour les festivals d'été, Extremalism voulait signifier la thématique plus actuelle du corps en révolte, renforcée par les effectifs de la compagnie contemporaine que les deux artistes co-dirigent parallèlement à Amsterdam. Las, on ne réussit pas à apercevoir de la révolte dans ce qui résonnait plutôt comme une lourde démonstration d'autorité scénique.

On en est encore à l'automne 2015, quand une troisième pièce vient redistribuer les cartes. On trouve une forme de générosité intellectuelle, dans la façon dont Emio Greco recycle une pièce qu'il avait créée lui-même en solo, et la ré-agence pour la distribuer à sept interprètes successifs. Cette liberté de méthode répond idéalement à la non moins grande fantaisie interpérative de La passion selon Saint-Mathieu, de Jean-Sébastien Bach, jouée sur scène au piano et à l'accordéon, avec une décontraction ludique réjouissante, par le musicien Franck Karwcsyk. Si cela frôle parfois dangereusement le pur gag de situation, on ne boudera pas le plaisir de regarder autant qu'écouter un musicien, enfin protagoniste de plain pied d'une dramaturgie.

Mais l'idée clé du remontage de Passione – qui en fait une véritable nouvelle création – est d'orchestrer les permutations de rôle entre les sept danseurs et danseuses solistes qui se succèdent, selon les 7 nécessités égrenées par un manifeste énoncé en 1996 par Emio Greco et Pieter C. Scholten, à l'appui de leur écriture. Avant d'engager sa danse, chaque interprète dit au micro l'une des phrases de ce manifeste. Pour exemples, on entend ceci : « Il faut que je vous dise que mon corps est curieux de tout et moi : je suis mon corps ». Ou bien : « Il faut que je vous dise que je peux contrôler mon corps et en même temps jouer avec lui ».

D'où une déclinaison d'intentions chorégraphiques chaque fois redéfinies, qui enjoint le spectateur à sortir de sa paresse et creuser un peu plus avant son observation de l'art gestuel d'Emio Greco. Il s'agit d'aller plus loin que le flamboiement qui le caractérise au premier coup d'œil. Dans cette pièce, à sept reprises, le mouvement abreuve son projet à une nouvelle source. S'il est au moins un acquis contemporain en danse, c'est bien celui de questionner ce qui habite le pré-mouvement, donnant sa charge expressive véritable à un enchaînement qui sans cela relèverait de la pure bio-mécanique plus au moins virtuose. On relit donc son Greco, et on lui trouve, décidément, une capacité confondante à se projeter dans les infractuosités d'une démultiplication de ses plans et niveaux d'agencement corporel, selon des directivités qui entraînent le corps entier au bord de sortir de lui-même.

Bien entendu, pareils enjeux sont extrêmement voisins de ceux qui sous-tendent les questions de qualité interprétative. Alors il faut dire que les sept interprètes de Passione s'en donnent à cœur joie, dans l'opportunité qui leur est offerte de faire valoir leurs arguments personnels. Certes cela se dispute surtout sur le versant du jeu scénique, son brillant, son assurance, parfois son impertinence, assez loin des enjeux les plus contemporains d'une présence scénique qui aurait été informée des acquis de l'art-performance. Mais cette fraîcheur, cet allant, parfois ce toupet, sont des plus appréciables, venant de danseurs de ballet (cinq des sept interprètes provenant des effectifs de la maison avant que la nouvelle direction en entreprenne un renouvellement).

À ce compte, Passione amène un oxygène, ouvre un horizon délié, et se garde heureusement d'un excès de prétention manifeste. Juste à l'orée de décembre, et d'un hiver moralement plombé, on n'a pas voulu bouder là, partagée avec le public, une humeur festive, comme inespérée.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 29 novembre à l'Opéra de Marseille.

 

 

 

 

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