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« Paper Less, Paper Dress » de Marianne Baillot

Un auto-portrait scénique, dont les touches éclatées se confrontent au grand mythe de la grande forme.

Le Théâtre d'Orléans a accompagné Marianne Baillot dans la création de presque toutes ses pièces, depuis que cette jeune artiste chorégraphique, performeuse, sortait de la première promotion de la formation expérimentale conçue en son temps par Emmanuelle Huynh à la tête du CNDC d'Angers. Elle vient encore d'y créer Paper Less, Paper Dress. Une atmosphère particulière émane d'une salle où nombre de spectateurs ont déjà vu trois pièces précédentes de la même artiste, naguère émergente.

Paper Less, Paper Dress, est un solo, forcément connoté du côté de l'intime. Et cela renforce la sensation de se retrouver pour un rendez-vous particulier. Mais intime n'est pas synonyme de discret. En tout cas pas chez Marianne Baillot. Il s'agit d'une artiste à tempérament. A tronche. Son grand corps déborde des normes convenues en danse (qu'elle n'a d'ailleurs abordée que tardivement). Elle concède une dose de gaucherie assumée dans la posture, que redouble toute une vivacité de mimiques, volontiers adressées très directement au spectateur. Deux des précédentes pièces de Marianne Baillot confinaient au théâtre, et à l'opéra. Rien d'étonnant.

Le solo Paper Less, Paper Dress, sacrifie pleinement à la dimension d'auto-portrait que recèle souvent le genre. A ceci près qu'il ne s'agit pas d'un solo fondateur – autre classique du genre – mais plutôt de transition. Entendons que l'artiste aborde à la pleine maturité, peut songer aux réussites mais obstacles aussi dans le développement de son art. On suppose qu'elle est devenue mère aussi, ce qui n'est jamais tout à fait rien comme expérience de corps. Du moins la voit-on allègrement transporter un grand cadre montrant un portrait d'elle-même, nouveau-né contre sa joue. Mais bien dans son esprit, un peu gag, beaucoup iconoclaste, voici qu'elle se jette soudain d'un grand saut à travers la toile ; laquelle s'en retrouve démantibulée.

Du reste, la mise en scène de cadres est l'une des procédures réitérées de cette pièce. Une autre est le dénudement (au stade du sous-vêtement) et le changement de tenue. Une autre encore est la visite libre, vibrante, teintée d'introspection, de diverses influences de danse à la façon des générations d'aujourd'hui (danse libre, butôh, post-modern), etc. Cela avance souvent par têtes à queue, au risque de laisser dans la sensation de foucades, de caprices.

Mais cela compose un portrait féminin composite, fragmentaire, délibérément fluctuant, non homogène. On ne l'imaginerait pas de tout repos. Son comble d'intensité est atteint en tutoyant un fondamental dynamique, insolite. Quasi nue, l'artiste se couche à l'horizontale, mais ne reposant que sur le plateau minuscule d'une tourette, qu'elle fait s'élancer – et elle-même avec – dans son mouvement circulaire. Ce corps semble flotter au-dessus du sol, un peu par magie, pour tourner à la recherche de son orientation, tel une aiguille de boussole.

Or on n'est jamais seul dans un solo. Il faudrait déjà parler d'équipe artistique : on doit à la scénographe Séverine Rième, et au vidéaste Nikolas Chasser-Skilbeck, la présence ensorceleuse d'une gigantesque forme drapée, suspendue, descendant des ceintres. Elle est de papier blanc. Assez souple, assez sonore, si on s'y frotte, si on s'y perd. Elle s'anime aussi de projections abstraites, lumineuses, informelles, pouvant virer à l'apparence du sang.

Cette présence d'une très grande forme, énigmatique, surplombante, intimidante quoique pacifique, est le véritable partenaire obstiné de tout geste, tout déplacement, que peut opérer Marianne Baillot. On y sent la puissance indéfinie, quoique très puissante, d'un appel. Vers ce que l'art demande de faire ?

Gérard Mayen

Vu le vendredi 13 janvier 2017, en création au Théâtre d'Orléans – Scène nationale.

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