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« Opus Corpus » de Chloé Moglia et « Bruit de couloir » de Clément Dazin

Le festival Spring et le Centre des monuments nationaux nouvellement associés, présentent, pour la deuxième édition de « Monuments en mouvement », deux spectacles de cirque dans l'emblématique abbaye du Mont Saint Michel. Une nouvelle aventure pour le festival des nouvelles formes de cirque et une première inspirée pour ce lieu chargé d'histoire qui accueille pour la première fois du spectacle vivant.

Opus Corpus de Chloé Moglia, qui ouvre l'édition, semble arrêter le temps. La trapéziste explore depuis des années l'état de suspension, questionnant à l'extrême le rapport au vide et au risque, de manière à la fois physique et mentale.

Le trapèze, fixe, est accroché dans le réfectoire de l'abbaye et préside une assemblée de spectateurs emmitouflés dans des couvertures … il fait froid.

Dans un costume couleur de pierre, la jeune femme arrive silencieuse, et d'un léger bond saisit l'agrès. A  peine à quelques mètres du sol, une fascinante danse suspendue commence, démultipliée par les effets de lumière.

D'une grande lenteur, le mouvement est d'une plénitude et d'une densité qu'on retrouve dans les Arts martiaux. L'attention extrême que Chloé Moglia porte à ses gestes, même le plus infime, donne du sens à chacun d'eux : La main qui se pose, la tête qui s'incline, le bras qui se détache et se tend, le buste qui plie et s'étire puis pivote, rétablissant un équilibre jamais acquis.

 

Les suspensions minimales, parfois juste quelques doigts, retiennent le corps dans les axes les plus audacieux. Les jambes se tendent au ralenti en ligne oblique, comme aimantées. Il y a quelque chose de magique ... d'ailleurs l'agrès va peu à peu disparaître et l'oeil ne voir plus que le corps, organique et charnel.

Débarrassé du costume couleur de pierre, en sous vêtements couleur de peau, il semble léviter. On sent palpiter le muscle dont on devine l'effort colossal, on perçoit le souffle concentré de l'artiste alors que les mouvements tranchent la densité de l'air. La gestuelle devient presque aquatique, le corps flottant. C'est d'une consistance incroyable.
 

La totale sobriété, ici nul décorum, effet ou narration, fait ressentir la puissante corporalité de la performance et la rend particulièrement intense. Intensité ressentie par l'ensemble du public, muet devant ce sublime moment de suspension autant temporelle que physique. C'est beau mais aussi terriblement captivant !
 

Bruit de Couloir a pris ses quartiers dans le choeur gothique de l'impressionnante abbatiale qui offre au regard une perspective vertigineuse. L'obscurité y est aussi profonde que glaciale et sied parfaitement au propos de Clément Dazin, qui s'est inspiré de récits de personnes ayant vécu des états de coma ou des EMI (expérience de mort imminente).

Sortant de cette enveloppe noire, ses balles blanches tournoyant autour de son ventre comme un système d'horlogerie qui évoque l'inexorabilité du temps, le jongleur avance de manière feutrée, aspiré par un faisceau lumineux éblouissant pour le moins métaphorique.  

Le jonglage, à la fois rite et tournoiement perpétuel, prend ici tout son sens. Parfois des ruptures interviennent, une partie du corps se dénude, que la lumière isole par de subtiles découpes, le danseur fait saillir ses omoplates, le dos se rétracte. Entre les jongles, les mains expressives et vivantes semblent vouloir dire quelque chose.

Bruit de couloir - Galerie photo © Michel Nicolas

Ce solo de danse jonglé à l'allure de rituel est rythmé par le rebond et la circulation des balles et codé par des séquences dansées qui se répètent et s'accumulent, sérielles, et dont la gestuelle saccadée, robotique et angulaire diffère de la danse fluide et très au sol qu'affectionnent beaucoup de circassiens. Une écriture corporelle plutôt originale et d' une grande précision, qui a bénéficié du regard extérieur de Bruno Dizien, Aragorn Boulanger et Johanne Saunier.

La pièce aborde avec beaucoup de poésie, le chemin parcouru durant l'existence. Sur ce chemin, Clément Dazin sait très bien où il va et ne s'égare jamais dans un propos qui, pourtant, n'est pas de prime abord évident. Une jolie réussite, qui surprend aussi par sa maturité, quand on sait qu'il s'agit de la première pièce de l'auteur !

Marjolaine Zurfluh

Vu à l'Abbaye du Mont-Saint-Michel le 18 mars 2016

Festival Spring
Jusqu'au 2 avril

Opus Corpus : 31 mars Théâtre municipal de Coutances / Festival Spring
http://www.festival-spring.eu

https://www.monuments-nationaux.fr/Actualites/Monuments-en-mouvement-2016

Opus Corpus
Conception et interprétation : Chloé Moglia
Son : Alain Mahé
Lumières : Stéphanie Petton
Costume : Isabelle Perillat
Regards : Maxence Rey, Sandrine Roche

Bruit de couloir
Conception et interprétation : Clément Dazin
Lumières : Freddy Bonneau
Création son : Grégory Adoir
Regards extérieurs : Bruno Dizien, Aragorn Boulanger, Johanne Saunier
 

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