Olivier Meyer : 25 ans de festival
DCH : Quand vous avez créé Suresnes Cités Danse, pensiez-vous que ce festival, consacré au hip-hop, pourrait tenir 25 ans ?
Olivier Meyer : Absolument pas. Je l’ai fait parce que j’avais été profondément touché par ces danseurs, pas si époustouflants techniquement, à l’époque, qui dansaient dans ce quartier de La Paillade et que Jean-Paul Montanari avait inclus dans Montpellier Danse. Ils avaient un plaisir de danser, une envie de partager leur danse, c’était très beau, très fort, très émouvant. Et heureusement, ils ne le savaient pas. Ils dansaient parce qu’ils en avaient besoin pour vivre, c’était rare de voir ça. Ils n’avaient pas du tout le niveau d’aujourd’hui, pas de production scénographique, tout cet emballage qui n’est pas toujours justifié, mais ils avaient cette simplicité, cet élan, cette générosité, cette urgence de danser. Ça m’a bouleversé et c’est parti de là. Parce que je les trouvais formidables. Mais il fallait nourrir cette idée d’où ce voyage à New York qui a suivi et qui m’a permis de rencontrer les Rock Steady Crew et Willy Ninja, la star du voguing.
Pourquoi avez-vous eu l’idée, au départ, de mélanger hip-hop et contemporain ?
O.M. : C’est la logique qui m’a guidé. L’essentiel du hip hop se passait dans la rue. Comme il y avait peu de chorégraphes issus de ce mouvement, en France, qui pouvaient tenir une soirée, j’ai d’abord fait venir des chorégraphes contemporains pour travailler avec des danseurs hip hop, et des chorégraphes américains. Ensuite, tout est allé très vite et on a vu apparaître les Mourad Merzouki, Kader Attou, Farid Berki. Nous avons servi de révélateur et donné la possibilité à toutes ses danses issues du hip hop d’être vues dans leur diversité.
Soirée d'ouverture avec Kader Attou et Mourad... par Suresnes-cites-danse
Comment qualifieriez-vous l’évolution du hip-hop ?
O.M. : Le hip hop a connu une gigantesque évolution artistique. Je ne peux écouter le mépris de certains quand on voit la diffusion, l’écho public énorme que le hip hop rencontre.
J’entends quelques voix dire qu’il faudrait revenir aux « fondamentaux ». Mais si le hip hop s’était cantonné à ce qu’il a été à ses débuts, soit la performance impressionnante, très virile, il ne serait sans doute pas ce qu’il est aujourd’hui. C’est-à-dire la possibilité d’être ensemble sur un plateau, et non plus isolés, de danser à l’unisson ou dans un rapport à l’autre, de pouvoir se toucher et même s’embrasser parfois. Et les femmes sont entrées dans le mouvement. Je ne voudrais pas que ça régresse, que ce qui a émergé revienne à la case départ.
« 25 ans, 25 danseurs », c’est une belle soirée d’anniversaire, qui sera pilotée par Farid Berki, mais c’est aussi un défi…
O.M. : C’est une folie artistique et financière sur un plateau, qui n’est pas immense. Je voulais faire vivre cette soirée avec les danseurs qui ont participé à ce festival, qui ont un lien très fort avec la manifestation. Pour certains, quand ils viennent ici, c’est un peu leur maison, ils sont heureux. Ce sera une improvisation réglée, sur des musiques différentes, du classique à l’électro en passant par le jazz, par toutes les musiques sur lesquelles ils ont dansé. Farid a accepté cette folie. Il a cinq jours pour tout caler, mais il va y arriver parce qu’ils sont contents d’être là et Farid est très imaginatif, il connaît par cœur tous ces artistes. C’est mon côté romantico lyrique mais je trouve qu’il y a beaucoup de fraternité, de bonheur, d’amour de la danse. C’est formidable que ça existe encore, que ce soit encore un engagement. Quand je les vois, ça me donne de l’énergie.
Suresnes a aussi contribué à la promotion des interprètes, en les conviant à rencontrer des chorégraphes…
C’est vrai que nous avons organisé beaucoup d’auditions pour produire les spectacles. Ils sont venus nombreux. Parfois ils étaient 200. Beaucoup de danseurs ont fait des carrières incroyables après Suresnes, Salah (Benlemquawanassa), Jann Gallois, Céline Lefèvre, Junior, Fabrice Labrana qui avait dansé le solo sur Bach de Régis Obadia n’arrête pas d’être demandé, Chantal Loïal, qui depuis a fait son chemin a été engagée la première fois à Suresnes. Kader Attou a engagé cinq danseurs repérés dans le spectacle des 20 ans. Et sur un plan chorégraphique, beaucoup de créations nées ici ont tourné ensuite dans le monde entier : Street Dance Club, Barbe-Neige et les sept cochons au Bois dormant de Laura Scozzi, plusieurs pièces de Mourad Merzouki et Kader Attou, Asphalte de Pierre Rigal et Abou Lagraa qui a relevé le challenge de créer une pièce en deux mois après une défection, ce qui a donné un magnifique trio intitulé Passages.
Teaser "REVERSIBLE" - Bouziane Bouteldja / Cie Dans6T création 2015 from J.L.BRESTAT - Chaîne pro on Vimeo.
Qu’est-ce que vous aimez particulièrement chez ces chorégraphes et ces danseurs hip hop ?
La société actuelle réduit nos libertés pour assurer la sécurité, génère une bureaucratie envahissante, est précautionneuse, prudente, administrée. Eux, sont en dehors d’une société formatée, peureuse. Ils prennent des risques alors que leurs vies ne sont pas toujours faciles. Par exemple, j’ai eu un coup de cœur pour Bouziane Bouteldja qui, dans Reversible, explique, en prenant beaucoup de précaution, que la tradition musulmane doit être revue en profondeur, notamment en ce qui concerne les tabous sur les femmes, la sexualité, ce qui lui a valu des menaces.
Il existe entre nous une complicité et une bienveillance réciproque. Il n’y a pas – en tout cas je l’espère – de manipulation, contrairement à certains politiques ou à une certaine presse qui sont très forts pour ramener le hip hop à la seule dimension « sociale ». Pour moi, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, ce sont avant tout des artistes et leur place est au théâtre.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Festival Suresnes Cités Danse 25e édition du 6 janvier au 5 février 2017.
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