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« Œ » de Pierre Pontvianne

Œ dont le thème aborde le souvenir et la constitution de la mémoire, ne cesse de déployer ses mystères et ses ambiguïtés. A ne pas rater les 10 et 11 octobre à l'Atelier de Paris-CDCN

La création de Pierre Pontvianne pour le 43e festival Montpellier Danse ne dépare pas au regard des autres pièces de ce chorégraphe au style particulièrement austère voire rude. Mais dans le contexte particulier de cette fin de mois de juin, au milieu d'une actualité complexe, venant d'un artiste qui revendique une implication dans le réel quoi qu'il ne procède jamais à l'illustration, Œ captive et dérange d'un même mouvement.

A priori, Œ (que l'on peut comprendre comme « eux » ) porte son propos dans sa forme : un groupe de sept danseurs émergent de l'ombre, un fracas suivi d'un noir brusque, tous disparaissent sauf une qui danse. Par une suite d'entrées toutes de structure comparable et agglomération de un à sept selon une progression régulière ponctuée d'autant de vacarmes soudain et de noirs, la pièce évolue. Chaque module agrège les « patterns » ou schémas repris en suivant une construction rigoureuse. Le tout aboutit au tutti qui survient après une petite demi-heure. Donc, jusque là, tout est simple ; ensuite, cela se complique.

Tout semblait parfaitement suivre le projet annoncé : « l'art vivant est peut-être par essence souvenir » écrit le chorégraphe dans le programme et la pièce suit donc la logique de constitution de la mémoire. Celle-ci ne fixe pas le souvenir passivement à partir de nos expériences vécues, elle superpose des flashes (à entendre au sens photographique) successifs, fixes et précis. L'expression « strates de la mémoire » traduit assez bien le phénomène que matérialise brillamment la chorégraphie. Par accumulation ça en arrive à une foule qui fait la chaîne, à des jeux d'enfants dans une cour d'école, mais aussi d'incongrus moments de révolte dans un ensemble qui dégage plutôt une tendance ludique – ce dernier adjectif n'ayant rien de léger puisque pour l'enfant son jeu mérite toute la gravité de l'attention – d'où sourd un trouble étrange. Mais, compte tenu du projet tout semble exprimé, le souvenir paraît constitué. Or, il reste une demi-heure… C'est alors que les choses se compliquent.

Maintenant que le groupe est au complet, que le souvenir donne l'impression d'avoir trouvé sa forme définitive, il reste soumis à une influence extérieure (à moins que cela soit la force profonde qui le travaille) : ce son ténu de vie et de nature qui culmine sur le terrible fracas et disparaît dans le noir. Après chaque fracas, quand la lumière revient, le groupe de sept reprend comme on ressasse, jouant de variations qui affectent petit à petit le déchiffrement que proposait la première partie de la pièce. Le groupe reprend et transforme la séquence constituée, proposant plusieurs versions de ce que l'on pourrait appeler une « scène primitive ».

Mais à partir du moment où l'un des interprètes passe par le sol, qu'une main se dresse pour frapper, que les poings se serrent, une tension s'installe graduellement au fil des reprises. Et plus le groupe reprend plus la tension monte, plus les « flash » visuels évoquent la violence et la brutalité au sein du collectif. Dans la bande son, quelque chose monte également qui évoque une manifestation ou un mouvement de foule. Or, à plusieurs reprises, Pierre Pontvianne a abordé son souci  d’« être en réaction avec le réel ». Ses œuvres, Percut (2020) par exemple, traduisent une dureté du temps, une colère et une âpreté qui n'est pas sans rappeler certains aspects des œuvres de Maguy Marin. David Mambouch, le fils de cette dernière a d'ailleurs beaucoup collaboré avec Pierre Pontvianne, dansant dans ses pièces et réalisant le film Jotr (2019) tiré du solo Janet on the roof (2016, dont la structure ressemble furieusement à Œ, lire notre critique. Ndlr) .

oe de Pierre Pontvianne // Création from Montpellier Danse on Vimeo.

Mais le contexte joue aussi son rôle dans cette perception et la création de Œ, dans un contexte d'émeutes urbaines dont les images occupent alors tous les écrans de télévision et les Unes diverses, n'a pas pu échapper à une manière de surdétermination d'autant que celle-ci est sous-jacente à toute l'œuvre d'un chorégraphe revendiquant une colère certaine. Alors, quand au terme de l'ultime reprise en variation, du souvenir préalablement construit, l'un des interprètes tend la main vers le bas à Jardin, quand le projecteur colore soudain en rouge cette main, quand le noir ne laisse plus que cette main rouge visible, dans l'immobilité du groupe et le silence revenu, l'image fait écho, mais prend un sens ambigu.

Est-ce ainsi que tout groupe finit dans une violence sanglante ? Est-ce un appel à la brutalité ? Une mise en garde contre le risque de dérapage ? Une perception métaphorique, un fantasme, une crainte… ? Le suspens ne permet pas de sortir de l’ambiguïté et le noir qui tombe sur cette main rouge ne départit rien de la fascination ou de l’avertissement. Et peut-être n'y a-t-il pas à le faire et que la gêne fait partie du problème autant que de l'œuvre… 

Philippe Verrièle

Vu le 30 juin festival Montpellier Danse /Théâtre de la Vignette.

10 et 11 octobre 2023 à 20h à  l'Atelier de Paris, CDCN

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