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« Notre Danse » de Mylène Benoît

Une approche du folklore allégée de toute référence au passé conduit magnifiquement à remonter très haut vers les sources de la danse.

On n'en aura jamais fini avec le folklore. Christian Rizzo a vécu une saison de triomphe avec D'après une histoire vraie. Plus exigeante et rigoureuse encore, voici que Notre danse, de Mylène Benoit, parvient à remonter très haut vers les sources du geste dansé. Sa puissance. Ce qu'il produit. Pour cela, il lui faut décaper, jusqu'à l'os, ce que le folklore pourrait avoir de poussiéreux, ou à tout le moins d'indexé sur le passé.

Les origines qu'on évoque ici ne renvoient pas à un référent temporel ; mais plutôt à une façon de se situer, en tension sur le bord. Nous en sommes là en 2015 : c'est beaucoup par You Tube qu'en sont passés les interprètes de Notre danse (cinq filles et garçons mêlés) au moment de rechercher ce que pourrait être leur folklore. Ou plutôt : ce qu'ils pourraient trouver d'eux-mêmes à travers un rapprochement d'avec le folklore. (lire à ce sujet l'entretien avec Christian Rizzo NDLR)

On en repère nombre de bribes dans ce qu'ils remettent en jeu sur le plateau. Il faut consentir un effort du regard. Il faut lire quelques structures de pas un rien austères, là où on pourrait aussi bien s'en tenir à quelque transe festive, chaleureuse à souhait. Les pas du folklore : ils composent parfois des combinaisons bien complexes, mais tout de même économes, et volontiers saisies de répétitivités.

Au croisement de ces tensions contradictoires, c'est quelque chose d’étonnamment simple, mais à la trame très dense, qui vient s'offrir au danseur. C'est comme si celui-ci pouvait déposer là-dessus, séparée de lui-même, la logique des enchaînements et coordinations de ses phrases. Adossé à ce recours fiable, il peut, dès lors, puiser pour une remontée d'essences de danse, qui se donnent par vagues, libres, redressées sur leur bord, et creusées d'un étrange vide d'abstraction, sans chichi, ni psychologie.

Voilà de la danse sans graisse, relevée un peu ivre, miroitant d'un allant sourd, scintillant d'une contamination fugace ; danse entraînante, sans rien d'un tonus idiot ni d'une énergie bébête, tandis que gronde une logique qui pousse de l'avant. Au moment d'écrire ce genre de choses, il nous souvient l'ardeur de certains artistes chorégraphiques des années 80, cherchant dans les danses anciennes, folkloriques, parfois en même temps que dans leurs métamorphoses baroques, des sources rétro-futuristes en somme, comme affranchies, par anticipation, de leur devenir classique académique.

C'était un curieux retournement du sens qu'on avait alors du progrès en art et en histoire. Il y a de ce brouillage des temporalités, mais cette fois post-moderne, dans l'entreprise de Mylène Benoit. À vrai dire, l'origine de Notre danse ne serait pas tant ancienne, qu'enfouie, par logique archéologique.

Cette boucle de retournement doit beaucoup aussi à l'électronique magistrale de Nicolas Devos, qui avale et digère en live les sons graciles d'instruments anciens sur lesquels il joue simultanément. Les lumières d'Abigaïl Fowler, vivantes à l'extrême dans leurs contre-jours incandescents, méritent la même mention. Enfin, il est une qualité qui ne trompe pas, qui est celle des cinq interprètes danseurs, occupés littéralement à faire la pièce. Ce qui est loin d'être toujours le cas.

De sorte qu'une écriture ténue, parfois austère, un peu rêche, parvient presque toujours à tenir l'œil en haleine.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 7 janvier 2015 au Centre national de la danse (Pantin),

et à revoir

le 2 février au Festival Ardanthé (Vanves),

le 19 avril à la Gaîté lyrique (Paris),

le 16 juin au Vivat à Armentières (Festival Latitudes contemporaines).

Distribution

Conception, chorégraphie : Mylène Benoit. Danseurs : Julien Andujar, Maeva Cunci, Alexandre Da Silva, Celia Gondol, Nina Santes. Conception musicale : Nicolas Devos et Pénélope Michel (Puce Moment / Cercueil). Régisseur général : Olivier Floury. Regard extérieur : Mathieu Bouvier.

 

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