Norvège, festival Ravnedans : Un modèle unique
Le petit festival de danse contemporaine à Kristiansand étonne par son esprit et sa direction collective.
A la pointe sud de la Norvège, à Kristiansand, une sorte d’Arcachon norvégien, le mois de juillet est bercé par la dolce vita, les festivals de musique à la plage et la danse contemporaine. Le festival Ravnedans (la danse du corbeau) porte le nom d’un parc paysager à l’ouest de la ville. Le festival est né ici, en 2010, fondé par Irene Vesterhus Theisen, Tone Martine Kittelsen et Julie Ramussen, trois filles de Kristiansand, toutes artistes chorégraphiques, qui vivent aujourd’hui à Oslo ou Bergen et retournent dans leur ville natale tous les étés. « A l’ouverture de la première édition qui a eu lieu dans le parc, nous avons préparé cinquante feuilles de salle. Mais six cent personnes sont venus », se souviennent-elles.
Chacune des trois fondatrices est elle-même une artiste chorégraphique. Irene Vesterhus Theisen danse dans Carte Blanche, la compagnie nationale, dirigée pour les quatre années à venir par la chorégraphe française Annabelle Bonnéry. Tone Martine Kittelsen a fondé deux collectifs artistiques en Norvège et Julie Ramussen a étudié la danse à Copenhague et Amsterdam. S’y ajoute Michelle H. Flagstad en tant que project manager. L’édition 2018 était leur neuvième aventure partagée dans le cadre de Ravnedans.
La direction collective : Un modèle unique
La direction partagée d’un festival est un modèle bien singulier, né d’une initiative commune. « Jusqu’à un moment assez récent, nous ne nous rendions même pas compte que nous étions programmatrices d’un festival », disent-elles. Les spectacles sont choisis sur appel d’offres et sur des propositions émanant de leur groupe. Les discussions internes peuvent être dures et très engagées pour convaincre les partenaires d’un spectacle. Et pourtant, diriger seule un festival n’est une option pour aucune d’entre elles et aucune ne voit le statut de programmatrice comme un but dans sa carrière, ou se voit en concurrence avec ses collègues. C’est simple : En programmant un festival à plusieurs, personne ne peut se considérer comme la reine de la danse en sa ville.
Aussi le festival n’est-il pas appelé à s’agrandir pour entrer en concurrence avec d’autres événements culturels, à Kristiansand ou ailleurs.
Certes, les premières éditions étaient forcément plus petites que le format actuel, mais Ravnedans conserve volontairement des dimensions adaptées à une petite ville en mode estival - même si, avec ses 90.000 habitant, Kristiansand est tout de même la 5e ville du pays. L’idée de départ était simple : Etre ensemble et amener la danse dans leur ville natale, alors qu’elles la pratiquent elles-mêmes, à Oslo ou Bergen.
Si certains spectacles ont lieu dans la salle du théâtre municipal, les petites formes brèves et légères, présentées sans éclairages, s’inscrivent dans des expositions d’art, dans les deux musées de la ville. D’autres gardent le contact avec la nature, comme le Transporteringsdans de Martin Slaatto, où l’on se rend au spectacle, qui a lieu dans un parc, en dansant. Et puis, tous les matins, l’équipe, les artistes et les festivaliers peuvent participer au bain matinal sur la plage de la ville, où se mélangent les eaux de la Mer du Nord et du fleuve Otra.
Formats légers, recherches pointues
Très présents à Ravnedans, les formats non conventionnels incarnent parfaitement l’esprit d’un festival qui n’est pas vu comme un but en soi, mais comme un moyen de créer un lien entre la jeunesse locale et la création chorégraphique, de Bergen à Barcelone. Et il est vrai qu’ici, le public est jeune, grâce à une ligne artistique qui met en avant les chorégraphes émergents et des écritures pointues.
Par exemple : Mickaël Florentz et Angela Rabaglio (Cie Tumbleweed, Bruxelles) et leur duo The Gyre, où les deux tournoient et vrillent l’une autour de l’autre, dans une danse qui part d’un motif simple pour se décliner et se diversifier comme dans une fugue, embarquent le spectateur dans une forme de transe, alors que chaque geste, chaque regard y est parfaitement ciselé.
La Suédoise Rebecka Berchtold démonte, avec son solo grotesque, aux accents de Marlene Montero Freitas, l’univers mental des petites filles accros aux contes de fées qui se préparent à la vie d’adulte. Allison, Will, the Queen and Valerie est une belle performance à la fois chorégraphique et vocale, pleine d’espièglerie et pourtant aux confins du macabre.
Nous avons aussi pu assister à une étape de travail de Daniel Mariblanca, danseur transgenre d’origine catalane, qui va créer la version définitive de son solo 71 Bodies 1 Dance au festival Oktoberdans à Bergen. La tête chauve, la voix et les gestes ultra-masculins et le corps parfaitement féminin, Mariblanca pose un défi à l’œil et à la perception: Voyons-nous une femme ou un homme? Impossible de trancher, et par ailleurs: Pourquoi vouloir trancher?
En mettant en valeur sa fragilité, son plaisir d’être en scène, sa lutte pour être lui/elle-même, il/elle atteint un état presque aérien, juste avant de s’étrangler violemment. Mariblanca a étudié, entre autres, au CDC de Toulouse, a travaillé avec la compagnie Linga à Lausanne, avec Anna Huber et Arco Renz et danse actuellement à Bergen, au sein de Carte Blanche. 71 Bodies 1 Dance est un appel à se dégager des idées formatées sur la masculinité et la féminité et s‘accompagne d’une exposition de portraits de personnes transgenres.
En Norvège, la danse a le vent en poupe
Ce festival est-il donc consacré uniquement à la découverte ? Privé de vedettes ? Pas tout à fait. On a pu y voir le fameux Hope Hunt de la désormais incontournable Irlandaise Oona Doherty. Mais primo, le public à Kristiansand ne suit pas forcément les tournées françaises des nouvelles coqueluches de la profession. Et deuxio, il retrouve là une chorégraphe « déjà venue au festival quand elle était encore complètement confidentielle », selon les organisatrices. Qui ajoutent: « Nous lui avons proposé de revenir, et nous étions presque étonnées quand elle nous a dit qu’elle acceptait avec joie. »
Pendant le festival 2018, tombe la nouvelle que le financement est accordé pour les quatre prochaines années. Voilà qui s’inscrit parfaitement dans un paysage chorégraphique en pleine expansion. Comme en Suède ou en Finlande, comme dans la France des années 1980, il fait bon faire partie d’une éclosion artistique. A Kristiansand, tout le monde a le sourire, et ce n’est pas seulement dû au soleil. La danse contemporaine affiche une fraicheur conquérante. Aux côtés des grands festivals établis comme CODA ou Octoberdans, les petits festivals surgissent dans les villes moyennes norvégiennes, presque comme les champignons en automne.
Thomas Hahn
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