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« Mourn Baby Mourn » de Katerina Andreou

Poème scénique de détresse et de révolte, le nouveau solo de la chorégraphe grecque, créé aux Subsistances à Lyon est repris aux Rencontres Chorégraphiques. 

Entrer aux Subsistances en 2022, c’est, jusqu’en décembre, se placer sous l’empreinte d’une énorme créature tentaculaire en bois et en toile. Ses créateurs, trois jeunes architectes plasticiens syriens (Khaled Alwarea, Layla Abdulkarim et Mike Shnsho) qui officient sous le nom de UV Lab, l’appellent Kraken, en référence à quelques mythologies anciennes, notamment nordiques. Et si la création de Katerina Andreou, finalisée en résidence aux Subsistances, est sans lien direct avec cette œuvre, son nouveau solo évoque pourtant une autre bête tentaculaire qui peut exercer un effet obsédant : la mélancolie. 

La chorégraphe, qui vient de s’établir à Lyon, se confronte sur le plateau à une matière de construction brute, comme pour réaliser une œuvre ou bien, au moins, une construction de type utilitaire, genre auquel les trois de UV Lab se sont toujours refusés. Ces briques creuses et grises qui imposent leur force réfractaire dans Mourn Baby Mourn sont du matériel réel, lourd et dur comme la vie, incarnant une promesse d’avenir, telle la construction d’une maison. Mais il faut, et c’est ici le sujet, se méfier des promesses de la vie. En se frottant au béton et à son poids, Andreou mène une bataille pour la vie, mais ne peut achever qu’un simple mur qui sert d’écran pour l’expression, par la projection de phrases tout aussi brutes, d’un état général de la psyché collective. 

La vie malgré tout

« Ils ne vont jamais arriver, ces futurs auxquels on a cru » : Les futurs sont morts et on les pleure (to mourn). No future ? Pas tout à fait. Mourn Baby Mourn est un manifeste pour la vie malgré tout : « La couleur de la mélancolie, je la vois dorée ». Les paroles brutes projetées sur le mur qu’elle a construit sous nos yeux (« Face aux monuments je bloque / je préfère les murs / ils me font passer à l’acte »), mur régulièrement envahi des tsunamis de HAHAHAHA, mur des lamentations mais aussi mur de résistance : « Il me faut un courage de dingue ». Ce courage, elle le danse en petits mouvements énergétiques, survoltés, comme dans ses solos précédents (BSTRD) où elle flirte avec un état d’épuisement. Dans Mourn Baby Mourn, cet épuisement est l’état de départ, mais il est psychique. 

Andreou danse sa colère, mais la douceur et la fragilité résistent. Elle jette ses pieds et ses bras en petits envolées, portant des chaussons noirs qui renforcent encore l’association avec les quatre rebelles dans Rosas dans Rosas, dont Anne Teresa de Keersmaeker en personne. Mais Andreou en donne une vision contemporaine, éclatée et survoltée, sans rien nier d’un énorme sentiment de solitude. Elle réussit à rester assise des minutes durant, à califourchon sur le mur gris qu’elle a construit, tout en captivant l’attention, de bout en bout. Un exploit qui doit tout à l’authenticité et à la sincérité de la démarche. 

Road movie intérieur

Aussi elle nous embarque sur une balade aux confins du romantisme et, inspirée du philosophe Mark Fisher (1968-2017) alias K-punk, théoricien du désir post-capitaliste. « Il est autant un poète », dit Andreou qui s’en inspire pour ses propres textes, qui semblent parfois être des propos recueillis auprès de jeunes de la culture rap : « J’adore tagger sur les murs… total respect pour les mots… je vais exploser comme une bombe… ». Mais tout est de sa plume, elle qui appelle ce solo « un signal de détresse, une tentative de sortie de la mélancolie en allant au crash, contre le mur, avec toute ma force ».

Mourn Baby Mourn est un chant de résistance face au mur de la mélancolie, une façon de faire le deuil de certains rêves pour arriver à vivre malgré les déceptions de la vie et du monde. Passionné et passionnant, livré brut de décoffrage, ce solo entre danse, texte, images et performance rencontre son époque sur une corde ultra-sensible, où le réel et le rêve s’entremêlent, dans le corps comme dans les constructions sonores. D’où la mise sous tension permanente de ce road movie intérieur qui ne laisse jamais indifférent. 

Thomas Hahn

Vu le 1er juin 2022, Lyon, Les Subsistances
Jusqu’au 3 juin, à 20h

13 et 14 juin à 21h au CN D - Centre national de la danse dans le cadre des Rencontres chorégraphique de Seine-Saint-Denis 

Conception, performance : Katerina Andreou
Son : Katerina Andreou et Cristian Sotomayor
Lumières/espace : Yannick Fouassier
Texte : Katerina Andreou
Regard Extérieur : Myrto Katsiki
Vidéo : Arnaud Pottier
Remerciements : Natali Mandila, Jocelyn Cottencin, Frédéric Pouillaude Production – Diffusion : Elodie Perrin

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