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Moura, Fukushima, Pensamento Tropical

Le festival DañsFabrik 2015 a inclu, au sein de sa programmation, un focus sur la danse contemporaine brésilienne. Intitulé Pensamento Tropical, il a pour curateurs Cathy Pollini et Guillaume Lauruol qui ont fondé un Centre d’Art et de bien-être du même nom au cœur de la forêt atlantique d’Itacaré à Bahia – Brésil, et y développent des projets de résidence d’artistes. C’est dans le cadre de cette programmation que nous avons découvert Michelle Mora et Eduardo Fukushima, après Volmir Cordeiro et Marcela Santander Corvalán ainsi que Marcelo Evelin qui commencent à être connus en Europe.

En occident la chorégraphie, y compris contemporaine, s’est construite sur la suppression de tout geste parasite, des maniérismes, des tics, des mouvements non directionnels. C’est même là-dessus que s’est fondée l’abstraction en danse, devant mener à plus de liberté du danseur.

Or, un point commun rassemble ces chorégraphes venus du Brésil, et même de façon plus large, d’Amérique du sud, c’est justement un mouvement qui nous paraît « insensé ». Il n’est pas vectorisé et de ce fait, frise pour nous la folie, car ce qu’il met en jeu, avec ses gestes qui partent littéralement dans tous les sens, c’est une sorte de désunification du corps qui passe par l’incertitude du mouvement et la désarticulation.

Epoque, de Volmir Cordeiro et Marcela Santander Corvalan en donnaient déjà un aperçu en traversant cette danse burlesque et expressionniste qui déjà use de mimiques voire de pantomime à des fins non narratives, épuisant du coup toute relation entre mouvement et sens. C’est encore plus sensible dans le Fole de Michelle Moura ou Homen Torto (Homme tordu ou tors) d’Eduardo Fukushima.

Dans Fole, la désarticulation va jusqu’au langage qui s’atomise, et devient in-signifiant, tandis que sa danse, uniqement basée sur le souffle, la respiration, la vibration jusqu’à l’hyperventilation, tend à une instabilité. Si le mot Fole signifie « soufflerie » nous entendons bien sûr en français la contigüité avec la folie. Dans cette performance à bout de souffle, Michelle Mourra met en jeu une nouvelle définition du corps dansant, déplaçant le sens du mouvement vers la sensation et créant un paradoxe entre « se mouvoir » et « être mû ». Couverte de lignes noires qui la rayent et la font sortir du champ de l’humain ordinaire pour la transformer en sorcière, en fétiche ou en animal, et se rapprocher ainsi des états seconds que provoquent aussi ces modulations du souffle. D’ailleurs, à la fin, il ne reste d’elle que quelques traces noires sur le sol, comme si son incarnation s’était littéralement volatilisée.

Dans Homen Torto, c’est le corps qui se désarticule, projetant avec lui ses images de gargouille ou de diable tors. Dansé dans un dispositif bi-frontal, le couloir dans lequel évolue Fukushima n’est pas sans rappeler les catwalk des défilés de mode. Non sans malice, peut-être. Car les tortillements, et les ondulations de hanches de Fukushima n’ont rien qui s’apparente à la séduction, au contraire, et ses avancées sur l’extrême demi-pointe qui font saillir de fins tendons ont plus du cat que du walk !

Ce qui est frappant, dans Homen Torto comme dans les autres chorégraphies brésiliennes, c’est qu’elles mettent en jeu un type de mouvement inédit. Une danse déformée « sans racines » comme l’écrit Fukushima. Sans racines, mais conjugant peut-être toutes sortes d’influences. Rappelons que Fukushima a été pris sous la houlette du mentor Lin Hwaimin (Cloud Gate Theater) pour le programme du Prix Rolex mentor et protégé 2012/2013 mais qu’il a aussi étudié au Japon, en Chine et bien sûr au Brésil.

Agnès Izrine

26 février 2015, Festival DañsFabrik, Pensamento Tropical, le Quartz, Brest

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