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« MOS » de Ioanna Paraskevopoulou : La folie du foley

Un duo qui décline l’art du bruitage jusqu’au vertige, découvert à June Events. 

La vague grecque continue à déferler sur le paysage chorégraphique. Et à faire des petits. Aussi est née, des corps collectifs des spectacles de Christos Papadopoulos comme Ion ou Larsen C, parfois inspirés du mouvement  des essaims d’oiseaux, une chorégraphe qui vole de ses propres ailes. De plus en plus présente sur les scènes françaises, Ioanna Paraskevopoulou a ouvert la journée finale de June Events 2023, soirée placée sous le signe du jeu, où il y avait aussi Play612  de Daniel Larrieu [lire notre critique]. 

MOS  joue avec l’idée de la sonorisation des films, en fait la démonstration sur le plateau et en détourne le dispositif  dans une chorégraphie des corps et accessoires, au service de projections et de quelques effets non dépourvus d’humour. Entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, le gouffre peut s’avérer large. C’est dû au fameux coconut effect, ainsi nommé parce que le son des chevaux et leurs fers est produit par le bruiteur à l’aide de coques de noix de coco. Qui aurait l’idée de faire courir un vrai cheval dans un studio de sonorisation ? A l’écran, la poursuite à dos de cheval bat son plein et sur le plateau, le bruiteur s’époumone à son tour. Le bruitage devient spectacle, dégagé de sa finalité dramatique en échange d’une autre, plus subtile et humoristique. 

Dans leur foley-tude, Paraskevopoulou et son partenaire Georgios Kotsifakis retournent la situation dans tous les sens. Le public, lui, tourne le cou quand l’image est soudainement projetée dans son dos, laissant l’écran du fond de plateau vierge. Si la torsion peut fatiguer, on n’est pas sans pouvoir choisir sa position. Il suffit de regarder le plateau seul, en reconnaissant que l’activité des foleys (bruiteurs) se suffit entièrement pour faire spectacle. L’image, on l’imagine. Sans jeu de mots, mais à partir d’un jeu de scène où l’image et le son se superposent et se contredisent. Quand Paraskevopoulou se lave et sèche les cheveux, c’est Kotsifakis qui produit les sons, de ses pieds ! Le foley sait mettre image et son sens dessus-dessous ! 

On pourrait y voir une manière d’inciter le spectateur à se méfier des apparences ou bien une volonté d’interroger les notions classiques de chorégraphie. Un film aussi, tout film, est une œuvre chorégraphique, et non seulement sous l’effet Busby Berkeley avec ici un joli kaléidoscope de baigneuses à la piscine, filmé en vue plongeante, sans parler des moments où le duo sur le plateau se met à danser pour sonoriser un trio de danseurs à claquettes à l’écran. Joli doublon et hommage au 7art comme à l’art chorégraphique. 

Et bien sûr à l’inventivité du foley, lequel pourrait bientôt être amené à disparaître au profit des sons de synthèse, en faisant la part belle à son inventivité. Heureusement, certains savent apprécier cet art, ici par une joyeuse déconstruction, jusqu’à une très agitée production du silence, ultime pirouette déjouant les conventions. 

On reverra par ailleurs MOS  en version courte en ouverture de saison du Théâtre de la Ville, au Théâtre des Abbesses en septembre (sous le titre The Coconut Effect), et en novembre on retrouvera Ioanna Paraskevopoulou comme interprète dans une nouvelle pièce de Christos Papadopoulos, à la Philharmonie, sur des compositions de Johann Sebastian Bach. 

Thomas Hahn

Le 17 juin 2023, Atelier de Paris, festival June Events

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