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Montpellier Danse : La révolte des femmes

Phia Ménard et Bouchra Ouizgen mettent en scène des actes libératoires

Belle d'hier de Phia Ménard et Ottof de Bouchra Ouizgen font souffler sur Montpellier Danse un vent féministe rafraîchissant. Et Phia Ménard n'attend pas qu'on lui demande d'expliquer son titre, elle le fait: « Une Belle d'hier, c'est une voiture historique, généralement photographiée avec une femme en prime. » Cette association de deux fantasmes masculins de puissance, elle n'aime pas. On la comprend. Mais sa vraie cible est le mythe de l'homme protecteur, sauveur, directeur. Monsieur surhomme aime construire son auto-mythe par sa voiture, certes. Mais il tient tout autant à sa tenue.

Galerie photo : Laurent Philippe

Pour bien montrer que tout ça appartient au passé, Ménard orchestre une image carrément muséale et moyenâgeuse. Les cavaliers du bal sont des sculptures faites de lourds manteaux et de capuches, le tout vide, sans cerveau donc, et gelées. Plongées dans une lumière dorée et argentée, elles restent figées devant un plan incliné plus que doré. Mais cette image se  construit lentement. Il faut bien du temps pour sortir tous les éléments de la chambre froide à -25°C et pour les assembler. ll faut du temps pour monter cette quinzaine de personnages, symboles de pouvoir plus que d'un sexe particulier. Il faut du temps pour attendre et observer leur lent effondrement. Trop de temps, il faut bien le dire, même si on comprend les contraintes techniques. Pour limiter l'attente, des tuyaux d'eau sont mis à la disposition des performeuses. L'eau finit par accélérer le dégel. C'est un bon tuyau.

Galerie photo : Laurent Philippe

Performance battante

Mais le vrai travail ne fait que commencer. Le plateau de l'Opéra-Comédie de Montpellier se transforme en lavoir! Toute la corvée de la lessive d'avant l'invention de la machine à laver resurgit. Les femmes travaillent comme en 14. Elles se passent les seaux en chaîne, frappent sur les manteaux (ou bien sur le mythe du prince charmant) avec d'énormes battes, agitent leurs jambes dans le seau etc. Si elles portent des tutus (ou presque), cela ne calme pas l'irritation d'une frange du public, venue en croyant que dans une salle pareille on verrait automatiquement de la "belle danse".

Galerie photo : Laurent Philippe

Les images dans Belle d'hier sont pourtant de grande beauté, jusque dans la disparition finale dans un brouillard épais formant de véritables nuages qui avalent les performeuses, entretemps intégralement dévêtues et secouées par des fous rires. Pour la première fois, Phia Ménard a décidé de ne pas monter sur le plateau: « Je ne joue plus ma propre biographie, je suis en train de faire le deuil de mon histoire d'homme. »

Galerie photo : Laurent Philippe

Le mythe battu en brèche

Se débarrasser du mythe qu'on était soi-même censé incarner, c'est du travail. Phia doit aujourd'hui composer avec cette "femme en devenir" qu'elle dit être, et c'est du chaud-froid, assurément. Au cours de Belle d'hier, les quatre interprètes passent de -25° à +25°C ! Elles ont eu d'autant plus chaud que Phia a décidé, à dix jours de la première, de revoir tout le travail, ayant découvert que la version initiale reproduisait des schémas de violence masculins.

Galerie photo : Laurent Philippe

Intéressant : Chez elle comme chez Bouchra Ouizgen, la libération passe par le vêtement, et surtout par le fait de s'en débarrasser . « Quand la glace fond, on voit le mythe se transformer en serpillière », dit Ménard, mais elle utilise le terme dans son sens premier, celui d'un tablier ou linceul. Dans Ottof d'Ouizgen, aucune des interprètes ne se met à nu. Mais les habits volent et les Marocaines, toutes grand-mères, en disent tellement plus sur elles-mêmes.

Galerie photo : Laurent Philippe

Des fourmis et des serpillières

Ottof commence dans la solitude d'une aube. Subtilement, le jour se lève enn temps réel. Imperceptiblement, une femme tourne sur elle-même, si lentement qu'on la prendrait pour une statue. Son dégel marque le début d'un acte de rébellion qu'on ne peut encore soupçonner. Sa représentation est en même temps sa réalité. Il s'inscrit dans des histoires de vie, et en devient acteur.

Ottof désigne les fourmis, en langue berbère. Ces fourmis, ce sont les femmes. Leurs cris, leurs discours, leurs danses... Musique contemporaine européenne au début, pour dire que ces femmes ne sont pas là où l'Occident les attend. Nina Simone à la fin, pour leur permettre de danser leur libération. Chapeau bleu, casquette de baseball. La transformation est totale.

Ottof est une autorisation à prendre la parole : « ...j'ai pas de chance j'ai pas trouvé de chance j'en veux juste un peu juste un tout petit peu pourquoi je n'en ai pas ? J'ai juste envie de passer la serpillière juste ça... » Le ton n'est pas larmoyant, mais combatif. Si l'acte artistique que pose Ménard dans Belle d'hier est beau, l'acte vital des femmes berbères dans Ottof peut véritablement agir sur le devenir d'une communauté, ou de plusieurs, si ce n'est un pays entier.

Cette libération-là ne passe pas par un discours, mais par l'acte. Sur le plateau, cet acte peut paraître désordonné, tournant en rond. Mais justement, pourquoi ces femmes-là devraient-elles jouer leur libération comportementale et vestimentaire, pour se soumettre aux codes occidentaux du spectacle bien comme il faut ? C'est dans leur vérité qu'elles nous intéressent, qu'elles se révèlent et nous surprennent.

Et plus il y a de vêtements en libre circulation, et plus on songe à certaines folies iconoclastes de Robyn Orlin ou La Ribot. Mais il y a le retour chez soi, parfois à 100 km de Marrakech, « là où même les citadins marocains ne voient aucun intérêt de se rendre », comme l'explique Ouizgen. À la fin, la voyageuse reprend sa valise. « Aujourd'hui, quand je rentre chez moi, le village me fait un triomphe. Au début, quand je partais en tournée, je rasais les murs », dit-elle en conférence de presse. Quel sera l'effet d'Ottof au Maroc?

Thomas Hahn

Créations à Montpellier Danse, du 25 au 27 juin 2015

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