Montpellier Danse : Ken Tabachnick
Directeur exécutif du Merce Cunningham Trust, Ken Tabachnick était à Montpellier pour accompagner le festival de films de Merce Cunningham, diffusés du 28 juin au 1er juillet 2017.
DCH : Vous avez été nommé directeur exécutif du Trust Merce Cunningham récemment, quel a été votre parcours ?
Ken Tabachnick : J’ai été nommé directeur exécutif en novembre 2016 du Merce Cunningham Trust, mais j’ai une longue histoire avec la danse. J’ai débuté ma carrière comme éclairagiste dans les années 80, à l’époque où les compagnies américaines avaient le vent en poupe et je travaillais beaucoup. J’ai créé avec Trisha Brown Set and Reset, Astral Convertible, et Newark, par exemple. Ensuite, je suis devenu directeur du New York City Ballet de 2000 à 2010, et désormais, je dirige le Cunningham Trust.
DCH : Qu’est-ce qu’un Trust ?
Ken Tabachnick : Aux Etats-Unis, les Trusts sont assez développés. Le premier était celui de Balanchine pour garder la mémoire de son travail. Notre mission est très claire, puisque Cunningham en avait établi les grandes lignes avant sa disparition. Notamment en décidant de dissoudre la compagnie et de conserver ses œuvres pour qu’elles restent disponibles à travers les « capsules » qui comprennent toutes sortes d’éléments pour ceux qui voudraient les remonter. Notre but est de créer des spectacles, avec des partenaires qui veulent avoir des pièces de Cunningham, faire de la formation et préparer l’avenir.
DCH : C’est une grosse responsabilité…
Ken Tabachnick : C’est un poste passionnant, car on s’intéresse au futur. La question étant, comment faire en sorte que Merce Cunningham intéresse toujours autant les générations à venir, qu’il continue à être pertinent et comment maintenir son œuvre auprès d’un large public. Cela m’occupe depuis mon arrivée, ainsi que la préparation des célébrations de l’anniversaire de ses cent ans en 2019.
DCH : La programmation cinéma à Montpellier Danse s’inscrit parfaitement dans ce cadre, donc…
Ken Tabachnick : À Montpellier, il y a ce festival de films et nous en sommes très heureux, d’autant que ce sont, pour la plupart, des films très rares. J’espère d’ailleurs faire également une programmation cinéma pour l’anniversaire des cent ans. Je vais m’entretenir avec la Film Society, mais aussi à la cinémathèque de Paris et de Londres.
DCH : Le premier film que vous présentez date de 1964, c’est une grande chance d’avoir des traces qui remontent aussi loin…
Ken Tabachnick : Nous avons la chance que Merce Cunningham ait adopté très tôt les nouvelles technologies de son époque. Que ce soit en l’occurrence la captation filmée ou la vidéo. Du coup, nous pouvons présenter des œuvres assez anciennes. Je me souviens quand j’étais un jeune éclairagiste, sans doute encore dans les années 70, j’avais été à Londres visiter Robert Cohan qui dirigeait le théâtre The Place et avait fait de très nombreuses vidéos avec de jeunes danseurs. C’étaient les toutes premières qui avaient existé et ça restait très sommaire.
DCH : Il y a une soixantaine de films en tout, qui a choisi les 25 films qui sont présentés à Montpellier ?
Ken Tabachnick : C’est Jean-Paul Montanari qui a décidé de tout et choisi les films. Généralement, le Trust travaille avec des partenaires et met à leur disposition ses archives. J’aurais aimé être crédité de ses choix !
Extrait de Exchange, Merce Cunningham, 1978
DCH : Quelles sont vos pièces préférées ?
Ken Tabachnick : Beach Birds est somptueux, j’ai aussi un faible pour Summerspace, Sounddance et un grand intérêt pour Winterbranch… Mais il y a tellement de pièces extraordinaires. C’est comme avoir des robes plus belles les unes que les autres. Ocean est une pièce difficile et je ne pense pas que nous puissions le remonter, c’est un travail trop important en l’absence de compagnie, de temps, de ressources, de danseurs. C’est pareil pour Biped.
DCH : Avez-vous encore beaucoup de films à traiter pour les conserver ? En trouvez-vous de nouveaux ?
Ken Tabachnick : Quand nous retrouvons un film qui n’a pas encore été numérisé et qui mérite notre attention, nous le faisons. Nous venons juste de finir de numériser Beach Birds dans une très ancienne version de 1966. Nous avons également retrouvé une des premières productions de Place. Ainsi, ces films restent disponibles dans nos archives. Mais hélas, beaucoup d’entre eux ont disparu irrémédiablement. Nous essayons d’en conserver le maximum. Nous avons aussi profité de la tournée de trois ans après le décès de Merce Cunningham pour filmer et numériser un maximum de pièces pour les inclure aux « capsules ». Nous sommes d’ailleurs en train de changer la technologie des « capsules » pour les rendre plus accessibles aux chercheurs.
DCH : Quels sont les événements prévus pour l’anniversaire ?
Ken Tabachnick : Sans doute des spectacles, nous aimerions présenter Sounddance, Fabrication, Summerspace, How to kick pass and run et Inlets 2. J’aurais même aimé avoir différents programmes, mais cela reste très compliqué car la compagnie n’existe plus. Je suis en pourparlers avec l’Opéra de Paris, pour imaginer ce que nous pourrions réaliser ensemble pour ces célébrations. Ainsi qu’avec la Compagnie Rambert à Londres. Donc nous essayons d’organiser tout ça. Il y a déjà eu une grosse exposition Merce Cunningham à Minneapolis et Chicago, et nous espérons que nous pourrons la présenter à nouveau dans deux ans.
DCH : Quelles sont les perspectives du Trust, dans un futur proche ou lointain ?
Ken Tabachnick : Mes perspectives pour l’avenir du Trust sont de m’assurer que nous remplissons notre mission afin que les œuvres de Merce Cunningham puissent continuer de se disséminer à travers le monde, que le public continue à les connaître et les apprécier et de savoir qui il était. Nous devons aussi nous assurer que les danseurs puissent encore danser du Cunningham qu’il y ait de jeunes artistes qui continuent à utiliser sa technique dans leurs propres pratiques créatives. L’une de mes grandes peurs étant que les années s’accumulant, plus personne ne s’y intéresse. Aujourd’hui, grâce à Jean-Paul Montanari, Aurélie Dupont, Robert Swinston au CNDC d’Angers, tout le monde sait qui est Merce Cunningham. Mais dans vingt ans ? C’est un défi pour le Trust et nous mettons en place différentes façons d’y parvenir.
Nous sommes en bonne position au niveau des danseurs et au niveau du milieu de la danse. Nombre de directeurs de compagnie connaissent Cunningham et savent comment remonter ses pièces. Au niveau du public c’est moins sûr. C’est pourquoi nous prêtons une grande attention aux films, notamment les œuvres que les compagnies ne dansent plus. Or, dès que vous ne voyez plus ou que vous n’êtes plus exposé, vous n’existez plus. Et il n’y a aucune éducation en danse à l’école. Donc les gens n’entendent plus parler de lui.
DCH : Vous avez la chance néanmoins que Cunningham ait créé une technique qui s’enseigne, contrairement à d’autres chorégraphes dont l’œuvre est plus volatile…
Ken Tabachnick : Oui, mais elle concerne surtout les écoles de danse, et à ce niveau, nous ne sommes pas trop inquiets, il existe un programme et des professeurs qui l’enseignent. Mais notre souhait est que Merce Cunningham existe en dehors, à l’université, au lycée, à l’école primaire. Qu’il fasse vraiment partie de l’histoire, de la culture.
DCH : Comptez-vous développer son enseignement dans le monde ?
Ken Tabachnick : C’est une technique difficile, très complète qui ne s’apprend pas si facilement. Actuellement, on considère que si vous faites de la danse classique, de la modern dance ou du Graham, ce sont de bonnes bases. L’une de mes ambitions, même si je n’ai pas encore de plan arrêté, c’est de développer la compréhension et de diffuser la technique Cunningham dans les entraînements réguliers des danseurs. Graham est une bonne technique, mais Cunningham en est une meilleure. Peut-être que la technique classique est suffisante, mais Cunningham est tout aussi efficace : vous obtenez la même force, la même rigueur et les mêmes capacités physiques et peut-être même davantage avec du Cunningham. Il y a les cambrés, les torsions, l’équilibre, les directions et la force de la colonne vertébrale qui est très utile pour contrôler toutes les parties du corps tout en les libérant. C’est une grande technique.
DCH : Aujourd’hui ce sont d’autres compagnies qui dansent Cunningham, et l’on sait que les chorégraphies évoluent à travers le corps des danseurs. Le trust veille-t-il à conserver les chorégraphies de façon littérale ou bien accepte-t-il les changements ?
Ken Tabachnick : Quand un chorégraphe meurt, il faut savoir jusqu’où on peut changer les choses. Dans notre cas, c’est le Trust qui doit décider. C’est une lourde responsabilité. Chacun des chorégraphes que je connais adapte sa chorégraphie aux danseurs et sont à l’écoute de ceux qui sont sur scène, de leurs corps. Merce Cunningham savait très bien, par exemple, que les danseurs de l’Opéra de Paris ne ressemblaient pas à ceux de sa compagnie. Nous devons donc être très attentifs à ce donné. Bien sûr, il ne s’agit pas de changer les pas, mais de s’ajuster à la façon dont ils prennent le mouvement, dont ils lèvent bras et jambes, et ainsi de suite. Les danseurs de sa compagnie avaient déjà beaucoup de liberté pour faire ce qui était juste pour eux. Les danseurs sont toujours plus important pour l’émotion que la forme que le corps produit. Le niveau technique des danseurs est bien meilleur aujourd’hui qu’à l’époque où j’ai commencé à fréquenter ce milieu. Il en faut donc plus pour les satisfaire, et il faut en tenir compte.
Propos recueillis par Agnès Izrine
À voir du 28 juin au 1er juillet à la Salle Maurice Béjart, Agora Cité de la Danse. http://www.montpellierdanse.com/spectacle/cinema-un-demi-siecle-de-creation-choregraphique-en-images
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