Montpellier Danse entre mémoire et créations
Une 43e édition exceptionnelle jette un pont entre œuvres d’hier et d’aujourd’hui pour réfléchir à notre présent chorégraphique.
Le sujet de cette 43e édition de Montpellier Danse réunit, sous le thème « Mémoire et Création » des œuvres anciennes, souvent retravaillées, et le plus vif de la production d’aujourd’hui. Ce festival nous entraîne donc dans les méandres d’une histoire perpétuellement en train de s’écrire sous nos yeux. Car s’il peut y avoir mémoire, c’est parce que les créations ont été suffisamment fortes et importantes pour traverser le temps. De nouvelles générations de spectateurs pouvant inverser cette perception du passé et de l’avenir, puisque les retrouvailles des uns sont les découvertes des autres. Il faut bien avouer que Montpellier Danse, sous la houlette de son directeur, Jean-Paul Montanari, a écrit des pages entières de l’histoire de la danse, rassemblant dans un même mouvement, les balbutiements de la « jeune danse contemporaine française » et les créations de chorégraphes essentiels tels que Merce Cunningham, Trisha Brown, William Forsythe ou Jiri Kylian, puis Ohad Naharin, Raimund Hoghe, Israel Galvan ou Emanuel Gat… La conjonction de l’irréductible du geste créateur et son inscription comme trace, et la conjugaison du national, voire du local à l’international, ayant assuré la réussite de ce festival exceptionnel, tant par sa dévolution exclusive à la danse, que par son excellence et sa longévité. Cette 43e édition ne déroge pas à cette règle et nous conduit dans un labyrinthe où les filiations s’entremêlent joyeusement et restent à déchiffrer.
Ainsi, les spectateurs pourront voir des créations qui ont marqué leur époque. Soit dans de nouvelles interprétation comme Ulysse grand large de Jean-Claude Gallotta, son créateur réinterrogeant sa pièce mythique de 1981, déjà remise sur le chantier de nombreuses fois pour la confronter à l’épreuve du temps. Cette fois, elle déploie pour le plein air, sous le ciel du théâtre de l’Agora, une danse « réinterprétée, refondée, plus imprégnée encore par les thèmes de l’exil ». Déserts d’amour (1984) de Dominique Bagouet, qui donne au chorégraphe sa griffe définitive, est également revisité par Jean-Pierre Alvarez, danseur et assistant de Bagouet, et Sarah Matry-Guerre, avec des interprètes mexicains et français.
En 1989, quand il crée Noces, Angelin Preljocaj, ancien danseur de Bagouet, s’affranchit de toute influence tout en s’inscrivant dans la continuité d’avant-gardes qui ne dédaignent pas les styles qui les ont précédées. Aujourd’hui, la même pièce repose la question du couple mais vue depuis le XXIe siècle. C’est bien la même année, que Pina Bausch, chorégraphe immense et sismographe aveugle d’un monde prêt à éclater crée Palermo, Palermo. Une pièce qui marquera profondément le Tanztheater comme les spectateurs. Car ce mur qui s’écroule ouvre en fait de nouvelles perspectives. Cette pièce, d’une force visuelle peu commune, inaugurant, avec ses 22 danseurs et sa succession de saynètes, un tournant dans l’œuvre de la Dame de Wuppertal, qui nous disait, il y a déjà 34 ans, que cet univers cruel et post-apocalyptique était le nôtre.
Toujours au chapitre « mémoire » Symfonia Pieśni Żałosnych créé il y a treize ans à Montpellier Danse par Kader Attou, rompt avec le hip-hop tel qu’on le concevait jusque-là. Happé par l’œuvre du compositeur polonais Henryk Górecki qu’il décide de rencontrer, il enrichit sa réflexion chorégraphique et le libère d’un vocabulaire obligé.
D’A bras le corps (1993) à 10000 gestes (2017) Boris Charmatz nous dévoile un pan de son parcours. À bras le corps, créé par Boris Charmatz et Dimitri Chamblas est un duo culte. Cette toute première pièce, montée en 1993 au sortir de l’adolescence, réunissait donc deux jeunes hommes (17 et 19 ans). Trente ans plus tard, et de trente ans plus vieux, cet À bras-le-corps raconte aussi ce que la danse fait aux corps, majoré par l’indice de l’âge. 10000 gestes pièce grandiose de 2017 rassemble un casting somptueux de vingt-cinq danseurs sur le Requiem de Mozart. Comme si c’était la fin du monde et qu’il fallait une dernière danse. Une danse d’après tout. En urgence vitale. C’est toute une humanité exubérante, débordante, qui, quand elle se rassemble, traverse l’histoire de et quand elle ralentit, transcende l’éphémère beauté de la danse et de la vie.
Parallèlement dix créations, et non des moindres, verront le jour dans cette édition : À commencer par la création mondiale d’Angelin Preljocaj qui n’a pas encore de titre, mais aurait pour thème la lascivité. Into The Hairy (À l’intérieur de la chevelure) de Sharon Eyal et Gai Behar à laquelle participe également Koreless, un musicien appartenant à la dernière génération de compositeurs de musique électronique britanniques affirme le goût d’Eyal pour l’ « underclubbing culture » et la technique classique qu’elle pousse à ses dernières extrémités. Attendons-nous à une déflagration chorégraphique !
Très attendue également, Black Lights, la création de Mathilde Monnier dénonce les violences ordinaires faites aux femmes. Entre danse et théâtre, inspirée par le livre H24 qui réunit 24 récits d’écrivaines, elle met derrière leurs mots, la force des présences, des corps en mouvement qui témoignent, qui se mettent en jeu et apportent leur vérité. Nadia Beugré quant à elle poursuit ses recherches sur les questions de genres et d’identités assignées dans Prophétique (on est déjà né.es) en retournant dans les quartiers populaires d’Abidjan prendre le pouls d’une jeunesse transgenre qui se bat pour sa liberté. Rive de Dalila Belaza cherche un langage intemporel, et travaille, après les danses aveyronnaises, sur les figures de la Bourrée. Danièle Desnoyers et Taoufiq Izzedddiou se lancent dans une création hybride intitulée Montréal-Marrakech, où ils confrontent leur vision de la danse sous-tendue par leurs aspirations artistiques et politiques.
A ne pas rater non plus, les Majorettes signées Mickaël Phelippeau, ALGERIA ALEGRIA un duo de David Wampach et Dalila Khatir qui interroge les rituels de danse au Maghreb, et surtout Mike de la Canadienne Dana Michel qui examine la culture du travail dans une approche plutôt féministe, Œ de Pierre Pontvianne à l’écoute intime de la palpitation des corps. Enfin, Anne Martin, égérie de Pina Bausch, racontera sa vie de danse dans Umwandlung. Sans oublier l’autre danseuse de Pina qu’est Nazareth Panadero qui présente avec Michaël Strecker, venu aussi de Wuppertal,Vive y deja Vivir.
Ce festival sera aussi l’occasion de réflexions sur la danse à travers des Tables rondes dont nous vous donnerons le détail, les 21, 30 juin et 1er juillet à 14h.
Sachez enfin que Danser Canal Historique, partenaire de Montpellier Danse, vous fera vivre ce festival « comme si vous y étiez » notamment par la retransmission en direct sur Facebook des conférences de presse, tables rondes, et autres événements filmés.
Agnès Izrine
Festival Montpellier Danse, du 20 juin au 4 juillet 2023.
Agora, Cité internationale de la danse, 18 rue Sainte-Ursule, 34000 Montpellier. Tél. 04 67 60 83 60
Image de preview : Prophétique - Nadia Beugré © Werner Strouven
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