« Matière(s) première(s) » d’Anne Nguyen : Une plongée dans les « danses afro »
Nouvelle artiste associée à La Manufacture CDCN de Bordeaux-La Rochelle, Anne Nguyen détaille sa dernière création.
Danser Canal Historique : Vous êtes artiste associée à La Manufacture CDCN à partir de la saison 2023/24. Votre première « apparition » aura lieu avec Matière(s) première(s). De quelles matières s’agit-il ?
Anne Nguyen : Cette pièce pour six danseuses et danseurs africains, urbains et traditionnels a été créée à la dernière édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne. On y travaille sur les danses qui viennent des grandes métropoles africaines et qui sont toutes très différentes, dans leurs fusions et créolisations entre les différentes ethnies qui se croisent dans ces grandes villes. Et elles évoluent avec les musiques et les avancées technologiques.
DCH : Comment peut-on décrire ces danses qui témoignent donc d’une grande vitalité créatrice ?
Anne Nguyen : Ça va de la house sud-africaine ou du rap sénégalais à des styles qu’on identifie plus communément à l’Afrique comme le coupé-décalé, entre autres. J’essaye donc de faire référence à plusieurs influences africaines urbaines et contemporaines, sans pour autant en faire un petit fondu d’Afrique. L’idée est d’aller chercher dans les origines de ces danses comme j’ai pu le faire avec les danses urbaines afro-américaines, donc le hip hop, en mettant en scène des identités très différentes, pour mettre en avant des pionniers des mouvements de la danse en Afrique et de montrer les choses sans trop les dénaturer.
DCH : Comment avez-vous rencontré ces pratiques ?
Anne Nguyen : Ces danses urbaines africaines sont émergentes en France, en dehors de la diaspora africaine, depuis une dizaine d’années voire plus. Ces mouvements sont de plus en plus suivis par les jeunes sur les réseaux sociaux, elles se dansent même dans les cours de récréation. Globalement les jeunes appellent ces danses africaines urbaines « danses afro », de la même façon qu’ils appellent les danses urbaines afro-américaines « danses hip-hop ».
DCH : Pourquoi travaillez-vous aujourd’hui sur ces formes en particulier ?
Anne Nguyen : Les danses hip-hop sont aujourd’hui institutionnalisées et se dansent plus en centre-ville donc par des classes non défavorisées, alors que dans les banlieues les jeunes sont plus intéressés par les danses afro et c’est pourquoi je les mets en scène dans Matière(s) première(s).
DCH : Vous étiez vous-même une B-Girl de renom avant de commencer votre carrière de chorégraphe. Quel regard portez-vous donc sur le hip-hop actuel ?
Anne Nguyen : Les institutions qui aujourd’hui reconnaissent cette gestuelle sont présentes auprès des chorégraphes mais ont oublié ce rôle initial du hip-hop qui permettait aux jeunes de se fédérer. Au résultat le hip- hop n’a plus cette fonction de régulateur des énergies violentes. Aujourd’hui les tensions sociales remontent et on les fait peut-être monter artificiellement, alors qu’il serait important de mener une réflexion véritable sur les manières possibles d’accompagner ces jeunes. Ayant toujours cette réflexion en tête, j’ai choisi de travailler sur des danses que les jeunes des banlieues ont envie de voir.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Matière(S) première(s) d’Anne Nguyen, le 28 novembre 2023 à La Manufacture CDCN, Bordeaux
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