Mathilde Monnier : Une création à Montpellier Danse
BLACK LIGHTS, création coup de poing pour le 43e festival de Montpellier Danse, invente une nouvelle forme où la parole est portée comme une chorégraphie, sans aucune inégalité entre texte et danse, qui parle de la violence ordinaire faite aux femmes.
DCH : Comment est née cette création ?
Mathilde Monnier : Au départ, j’avais vu la série diffusée sur Arte en 2021 intitulée H24. Ce sont des courts-métrages à partir de 24 textes écrits par des autrices sur les violences ordinaires faites aux femmes. Elle a été réalisée par Nathalie Masduraud et Valérie Urréa. Elle m’avait intéressée, d’autant plus que j’avais réalisé Bruit Blanc avec cette dernière. Mais, c’est plutôt le livre qui a été le déclencheur. Voilà un moment que je cherchais du texte, pour monter une forme théâtrale et chorégraphique. Et j’ai découvert ces écrits, très différents de la série, très parlants, qui ne supposaient pas d’images. Parce que ces textes interpellent directement les corps. J’ai trouvé que c’étaient de belles œuvres à mettre sur scène. J’’en ai donc choisi huit ou neuf, ce qui est déjà beaucoup pour un spectacle.
DCH : Comment avez-vous sélectionné ces huit ou neuf textes ?
Mathilde Monnier : J’ai hésité. J’ai choisi ceux qui me semblaient tenir sur un plateau. A la fois dans leur forme littéraire – au sens où j’ai sélectionné ceux qui étaient les moins narratifs et les plus incarnés – et en fonction de la forme et la rythmique des récits. Ensuite, il fallait privilégier une dramaturgie pour assurer une progression de la pièce. J’étais certaine de quelques textes dès le début, parce que j’avais une certaine proximité intuitive avec eux. D’autres qui me paraissaient, au départ, trop difficiles, sont revenus car ils se sont avérés essentiels.
DCH : Pourquoi l’avoir intitulé BLACK LIGHTS ?
Mathilde Monnier : Pour moi c’est la lumière noire sur les scènes de crime, mais aussi les bribes de mémoire, des lumières qui persisteraient suite à des traumatismes. Comme une sorte de rémanence rétinienne. Dans la pièce je m’intéresse beaucoup à ce que le corps enregistre, et ses répercussions. Comment le montrer sur scène ? Et comment, au-delà de l’acte de violence, la personne vit-elle avec cet événement fiché dans son corps, sa psyché, son imaginaire, avec ces lumières noires dans la tête ?
DCH : Toutes les femmes ont eu des expériences de cette violence ordinaire. En quoi était-il important pour vous de vous emparer de ce sujet ?
Mathilde Monnier : En tout cas, je n’en trouve pas qui n’en ont pas eu. Toutes les femmes ont vécu des agressions, oui bien sûr, avec plus ou moins de violence et de traumatismes. Je ne vais pas faire un acte militant en prenant la parole là-dessus. Il y a tant de discours, presque quotidiens, sur #MeToo. Mais ce qui m’intéresse, c’est que le corps prenne la parole.
DCH : Justement, comment passez-vous du texte à la chorégraphie ?
Mathilde Monnier : A partir du moment où j’ai pensé que le corps pouvait porter du récit, il m’a été assez facile d’imaginer une dramaturgie corporelle, une mémoire qui s’inscrit à même le corps, une présence. C’est une mémoire du sensible en fait.Ce sont ces réminiscences physiques qu’il m’intéresse de chercher pourouvrir des potentialités interprétatives, créer une relation entre le mouvement des textes et celui des corps que seule la danse peut forger. Car, derrière ces mots, il y a la force des présences, des corps qui témoignent, qui se mettent en jeu, qui résistent, qui affirment leur vérité implacable.
DCH : Avez-vous pu échanger avec les autrices ?
Mathilde Monnier : Oui. C’est très émouvant et gratifiant d’être entourée de femmes très chaleureuses qui n’ont jamais eu de problème d’ego sur ce projet. Il existe une véritable entraide, sans ondes négatives. Elles ont été très touchées que la danse interprète leurs textes, qu’ils passent par le biais du mouvement. Toutes ont ce lien entre danse et littérature et pour moi c’était extrêmement fort de constater que j’étais si bien accompagnée.
DCH : Comment avez-vous choisi vos huit interprètes ?
Mathilde Monnier : Elles ont entre 24 et 54 ans, réparties entre comédiennes et danseuses, ce sont avant tout des personnalités. J’ai déjà eu un parcours avec certaines d’entre elles. Par exemple retrouver Jone San Martin qui a été l’égérie de Forsythe pendant vingt ans, c’est un cadeau de la vie. C’est une danseuse extraordinaire, ou Isabel Abreu qui est LA comédienne de Tiago Rodrigues. Ce n’est pas une compagnie mais un casting. La parole circule. Certaines ont plusieurs textes, d’autres n’en ont pas. Parfois un même texte est réparti entre plusieurs, de façon à ce qu’il n’y ait pas une histoire/une interprète.
DCH : Quelle scénographie avez-vous en tête ?
Mathilde Monnier : Annie Tolleter et moi avons imaginé un décor en fond de scène, comme un passage. Car je voulais évoquer la tragédie, le Sud mais aussi un espace brûlé. C’est juste une sorte de paysage mental, sombre, mais très brillant, une sorte d’outre-noir, un noir lumineux.
Propos recueillis par Agnès Izrine.
Montpellier Danse, les 22 et 23 juin à 22h.Théâtre de l’Agora
Egalement : Festival d’Avignon. Cloître des Carmes. Du 20 au 23 juillet à 22h
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