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Maguy Marin : « Singspiele »

Le Maillon et POLE-SUD présenteront simultanément deux pièces de Maguy Marin. Umwelt, du 17 au 19, et Singspiele les 19 et 20 janvier. A ne pas rater !

« Rencontrer un homme c’est être tenu en éveil par une énigme » écrit Emmanuel Levinas, philosophe tutélaire et revendiqué de ce Singspiele de Maguy Marin. Et c’est bien ce qui arrive dans ce spectacle où un seul homme incarne la multitude des gens et des regards, en se déplaçant lentement de Cour à Jardin, comme pour un parcours qu’il faudrait lire à rebours. Et l’énigme reste entière, car chaque visage qu’il revêt, grâce à un support qu’il embouche, n’existe que dans les rapports multiples et éphémères qu’il tisse avec les autres, multiples, eux aussi, c’est-à-dire les visages précédents, ceux des spectateurs qui les regardent, et le corps qui lui sert de soutien.

Alors se déroule sous nos yeux un spectacle captivant où un individu se figure et se défigure, endossant tour à tour toutes sortes de vêtements et d’accessoires sur un rythme implacablement calculé, apparaissant et disparaissant entre l’apparence et l’existence, car la photo qui lui sert de nouvelle face est toujours un autre artifice qui nous empêche d’accéder à la vérité de l’être.

Car « la manière dont se présente l’Autre, dépassant l’idée de l’Autre en moi, nous l’appelons, en effet visage » dit Lévinas. Il déborde la représentation de l’être et se dérobe toujours à sa définition. Dans sa solitude, l’homme qui donne vie à ces visages, les accorde à des gestes et des attitudes qui, chaque fois, déplient un nouveau sens, une nouvelle figure, qui tout en faisant suite à la précédente nous entraîne à chaque fois ailleurs. Cette identité mouvante et de ce fait émouvante n’est pas sans rappeler la quête insensée de Zelig, ce personnage de Woody Allen qui devient toujours celui qu’il rencontre. Comme s’il lui était impossible de se prendre pour ce qu’il est, n'étant sûr de rien sauf de n’être rien…

D’ailleurs, quand par deux fois l’interprète apparaît démasqué, « à visage découvert » il est menacé par le Néant qu’entraîne l’absence de masque, comme défiguré brusquement par sa seule présence, rejouant indéfiniment la ruse d’Ulysse à l’encontre du Cyclope ou ce « persona[1] » qui finit par usurper l’identité de la personne qui le porte. Mais c’est aussi un bouleversement permanent des codes et des fonctions qui lui sont attachées. Le masculin glisse vers le féminin, la statue d’un guerrier antique devient Piéta, l’homme ordinaire s’affaisse pour se relever en bête médiatique.

Seul lien entre tous ces visages le chantonnement de "Ständchen" de Franz Schubert, avec sa nostalgie et sa douceur déchirante, "Ständchen" et ses lueurs d’espoir qui est à la musique ce que le visage est à l’amour soit , selon Levinas, l’ « être qui s’en va pour un autre ». "Ständchen" qui traverse de loin en loin l’œuvre de Maguy Marin. Et d’une certaine façon, Singspiele est également une traversée des créations de Maguy Marin, on y retrouve, bien sûr Umwelt et sa façon de présentifier le monde à chaque nouvelle apparition, mais aussi les arrêts sur image de Salves ou les métamorphoses constantes de Turba.

David Mambouch, extraordinaire interprète de cette extraordinaire performance – il endosse tous ses personnages en évoluant à l’aveugle, grâce à la mémoire précise et exacte dans le temps de ses mouvements qui lui permettent un repérage spatial – est totalement fascinant dans ses transformations « à vue ».

Singspiele dit Maguy Marin nous parle d’« une responsabilité qui déborde "ce qui tient dans le suspens d’une époque" », et du « désir d’affirmer que ces visages connus et inconnus ont un dénominateur commun qui est celui d’appartenir à la même espèce. L’espèce humaine ».

Une urgence.

 

Agnès Izrine

Vu en juin 2014 au Théâtre de la Cité Internationale

Singspiele :
Les 19 janvier à 19h et le 20 janvier à 20h30 à POLE-SUD, CDC Strasbourg

Unwelt :
Du 17 au 19 : Le Maillon-Wacken

http://www.pole-sud.fr/
 

Distribution :
conception : Maguy Marin

avec : David Mambouch

scénographie : Benjamin Lebreton

lumière : Alex Bénéteaud

création sonore : David Mambouch

son :Antoine Garry

aide à la réalisation des costumes :Nelly Geyres

régie générale : Stéphane Rouaud

production déléguée : extrapole

En tournée

 

 

[1] Masque de théâtre en Latin et par extension, masque social.

 

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