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« Macho Dancer » d'Eisa Jocson

Ni voguing, ni travestisme : quand une femme se mêle de restituer à travers son corps une étude saisissante de gestuelles masculines outrées
Eisa Jocson est avant tout une artiste plasticienne. On aurait pu s'attendre à ce que son solo Macho Dancer relevât plutôt de l'art-performance. Lequel était naturellement archi dominant au cours du festival Explicit, accueilli par Humain trop humain, Centre dramatique national de Montpellier, voué à toutes les audaces esthétiques depuis que le metteur en scène Rodrigo Garcia en a pris la direction.
Conçu par le chorégraphe Matthieu Hocquemiller et la chercheuse, performeuse et travailleuse du sexe Wendy Delorme, le festival Explicit touchait aux « expressions plurielles du sexuel », lisant celui-ci comme « objet culturel, politique et social, et non pas seulement personnel et intime ». Pareille approche fait place à une notion de post-pronographique, et se nourrit des études de genres, sur le versant du trouble des identités.
Or, le solo d'Eisa Jocson est intégralement fait d'une suite de danses, inspirées par une observation très serrée des shows érotiques de garçons philippins dans des établissements de nuit voués à la clientèle qui s'y intéresse. On pourrait dire que le spectacle d'Eisa Jocson tient d'une étude, comme il en irait dans le dessin, discipline artistique qu'elle pratique d'ailleurs abondamment en traitant du même sujet.
Sur le plateau en forme de catwalk, Eisa Jocson ne dissimule rien de sa morphologie, ni de ses traits, de très belle jeune femme. Certes, elle glisse sous son slip moulant, un pénis postiche, à la forme très suggestive. Mais le regard circonscrit immédiatement celui-ci en tant qu'artefact, élément de corps en kit, par où se brouille la répartition entre ce qui serait le modèle et l'imitation, ou bien vice-versa.
Voilà qui touche à l'enjeu de cette affaire. De quel type d'hommes nous parle en fait cette artiste ? Tels qu'elle en endosse la gestuelle et les attitudes, ces garçons sont hyper-sexués, intégralement construits dans une image culturelle d'érotisatrion exacerbée. Difficile d'imaginer plus masculins, tous attributs mis en avant ; et pour autant plus hystérisés et ambigus, endossant à cent pour cent une vocation d'objets sexuels, sur fond de tubes à la mode.
Quand, pour restituer cela, Eisa Jocson reste à cent lieues des enjeux du travestisme, ou encore du voguing, quand elle ignore tout surjeu, idéalisation ou modélisation, quand elle restitue au plus près la gestuelle et l'atmopshère de ces partitions du sexe, elle invite les regards à une lecture d'une forme du masculin fouillée et aiguisée comme jamais ; et d'autant plus lisible que distancée dans une décontextualisation.
Macho Dancer produit un déplacement à rebondissements multiples, qui sont ceux du statut de la virilité érotisée, mais aussi de sa propre posture de femme et d'artiste interprétant cette partition ; et encore du regard  spectateur surpris dans ces attentes théâtrales bourgeoises. Plus l'étude d'Eisa Jocson est précise, plus elle signale en fait la fragilité manifeste, la mobilité incoercible des codes corporels qu'elle examine, en tant qu'élaborations fiévreuses.
Pratiquant des copies de copies de copies qui n'ont jamais eu d'originaux autres que des projections encodées, donc recyclant ce à quoi ses modèles de garçons s'emploient déjà eux-mêmes à la base, Eisa Jacson aspire le spectacle de la danse dans un vertige aussi inépuisable qu'étourdissant ; excitant par le sens autant que les sens.
Gérard Mayen
Spectacle vu le 24 mai 2015 à Montpellier (HTH, festival Explicit).
 
 
 

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