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« Lux Tenebrae » de Bernardo Montet

Après avoir été créée au Théâtre Louis Aragon (Tremblay-en-France), c’est au Festival Danse d’Ailleurs du CCN de Caen que fut programmée la dernière pièce Lux Tenebrae de Bernardo Montet qui est le troisième volet d’un triptyque basé sur la notion du vulnérable.

Après un long noir, la lumière monte très doucement et laisse entrevoir un salon où trônent un canapé, deux fauteuils, une table basse et un pouf. S’y ’installent deux femmes et trois hommes, bien vêtus, comme pour passer une soirée sympa entre amis.

Mais on ressent que de minute en minute, leur conversation, uniquement décrite par le corps, penche vers des sujets douloureux. La bienséance s’effrite, les êtres commencent à ressentir des maux hérités de souvenirs bien lointains. Puis la danse devient plus personnelle où chacun tente d’extraire cet héritage de sa mémoire afin de la faire partager ou plutôt de l’exorciser.

Ces hommes et femmes de nos jours replongent dans un passé de souffrance, dans l’horreur de l’esclavage vécue par leurs ancêtres. Un homme se flagelle puis bâillonne les femmes avec sa corde rouge sang. Ces ladies et gentleman entreprennent des solos où la danse exulte et se libère. Cette danse diffuse d'obscures et puissantes forces, des états d’âmes tourmentés. Elle est comme une sorte de transe ou le corps s’octroie le droit de faire ressurgir tous les fantômes que l’être porte en lui depuis plusieurs générations.

Ces solos ne se rejoignent que deux fois pour former un ensemble. Ce qui signifie qu’ils se comprennent et se souviennent des mêmes supplices subis par les anciens.

La pièce se déroule sur Les Quatre saisons de Vivaldi qu’il est presque impossible de reconnaitre tant la musique est diffusée sur un rythme extrêmement lent « Il faudrait huit heures pour l’écouter entièrement tant nous l’avons triturée, étirée. Je voulais démontrer la corrélation existant en ce XVIIIe siècle entre les savants et les philosophes qui écrivaient l’Encyclopédie, Vivaldi qui composait cette œuvre flamboyante (en 1728 NDLR) et les soixante déclarations et arrêts du Code Noir concernant les esclaves nègres de l’Amérique que Colbert avait édités en 1685 à la fin du XVIIe siècle  » souligne Bernardo Montet. Pour l’ambiance visuelle, le chorégraphe s’est inspiré de L’ivresse de Noé  du peintre Giovanni Bellini (1515).

Puis la musique glisse vers des sons de percussions et les artistes entament des danses africaines. Ils défilent pour être vendus comme dans un marché aux bestiaux. Le tissus glisse de la table basse, elle apparait couleur dorée et évoque l’argent qui mène le monde. Ils se recueillent en avançant lentement vers la lumière, signe de soumission. Enfin, face au public et très posément, les huit interprètes effectuent des gestes qui ressemblent à des offrandes ou à des signes de prières. Il y a de la dignité chez ces gens là et ces instants sont poignants, splendides.

Aucun mot n’est prononcé, seule la danse dessine toute cette histoire avec une vérité bouleversante. Bernardo Montet signe une œuvre puissante et les huit danseurs, qui ont chacun une propre personnalité, savent parfaitement bien faire parler leurs corps, en extraire toute l’énergie et un intense sens émotionnel.

Sophie Lesort

25 février 2015 - CCN de Caen et de Basse-Normandie

Tournée : le 8 mars à 16h, Espace Roudour, St Martin des Champs (Morlaix)

« Lux Tenebrae Nomade » : 16 mars à 15h, Lycée Fenelon, Tremblay-en-France ; 17 mars à 15h, Maison d'arrêt, Villepinte dans le cadre de la résidence "Territoire (s) de la danse" 2015, Théâtre Louis Aragon, Tremblay en France.

Distribution :

« Lux Tenebrae » de Bernardo Montet. Interprètes : Patricia Guannel, Marc Veh, Raphaël Dupin, Mohamed Ahakki, Agnès Pancrassin. Composition musicale Pascal Le Gall, scénographie Gilles Touyard, création lumière Michel Bertrand, création costumes Claire Raison.

 

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