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« Lumen » de Jasmine Morand

Le Théâtre de Châtillon a présenté Lumen, une création de la Veveysanne Jasmine Morand, dans le cadre du festival CorrespondanSe, son programme commun avec le Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine.

La chorégraphe s’est inspirée du centenaire Pierre Soulages, ce qui ne nous rajeunit pas. Il faut convenir que Lumen a quelque chose d’intemporel ou d’atemporel : son lent passage des ténèbres à la clarté pouvant fait songer au mythe antique de la caverne, aux illusions d’optique du XIXsiècle, aux tours de passe-passe reposant sur une scénographie à sensation, à la magie blanche de Robert-Houdin et aux trucs cinématographiques de son disciple Georges Méliès, lequel filma un danseur « russe » avec une caméra verticale dans L’Homme mouche (1902), le faisant littéralement grimper au mur, à son talentueux imitateur, Segundo de Chomon, et sa fameuse bande Les Kiriki (1907), qui tant fascina Philippe Decouflé. Rappelons au passage que le concepteur de l’outrenoir collabora notamment à deux chorégraphies aujourd’hui un peu oubliées de Janine Charrat, Abraham (1951) et La Mécanique (1952).

Quoique non totalement représentative, la pièce de Jasmine Morand tient du chorédrame, genre développé après-guerre, notamment par Janine Charrat. Disons qu’elle n’est pas abstraite comme ne l’est d’ailleurs pas la peinture de Soulages, qui est des plus concrètes – au sens de la musique du même nom – quoi qu’elle se passe de tout référent autre qu’elle-même, jouant avec le grand format, l’épaisseur des couches, la matérialité du pigment et les traces de coups de brosse l’ayant matérialisée – si le style c’est l’homme, la pâte est la patte de Soulages. Lumen est de ce fait polysémique ; on peut y voir, en accommodant ce qu’il faut dans la première partie, toutes sortes d’intentions ou d’interprétations ; cela va de la « condition humaine » évoquée par l’auteure, terrestre, terraine, terre-à-terre, au rêve d’Icare ; au Radeau de la Méduse ; en passant par les agencements baroques d’angelots dans les brindezingues jurant avec des souris s’esbignant. Rêves et cauchemars confondus.

Galerie photo © Gregory Batardon

La nécessité faisant loi, l’ingénieux dispositif l’exigeant, la chorégraphie est contrainte, pour ne pas dire réduite, à un travail au sol. La scène (ou cène) de treize à table est jouée par un groupe de danseurs-acrobates à l’école de Jaques-Dalcroze (la parité penchant ici en faveur de la gent féminine), ne pouvant ni entrer ni sortir une heure durant. L’idée paraît toute simple, encore faut-il se donner les moyens de la réaliser, qui consiste non à passer d’un tableau à l’autre, comme au music-hall, par exemple, mais, précisément, à rester en place, sans pour autant faire du surplace, pour produire un effet de transformation et non seulement de miroir. Nous n’en dirons pas plus sur le dispositif qui implique une précision redoutable et s’apparente, pour ce qui est des mouvements de groupe, à l’horlogerie, tout devant tomber pile, tomber juste, être millimétré, coordonné, synchrone. Des marques au sol permettent aux interprètes de se repérer dans le noir. Les traces qu’ils laissent sur le pvc anthracite à l’issue de la représentation composent une peinture à échelle surhumaine.
Nicolas Villodre
Vu le 8 octobre 2021 au Théâtre de Châtillon.

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