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« Livextase » par le Ballet de Lorraine

Deuxième programme de la saison pour le CCN – Ballet de Lorraine dirigé par Petter Jacobsson. Intitulé Livextase, car l’enjeu est la rencontre entre la danse et la musique « live », il réunit dans une seule et même soirée, deux chorégraphes, deux compositeurs, l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy dirigé par Aurélien Azan-Zielinsky  et une compagnie de 26 danseurs en très grande forme !

Hok d’Alban Richard tire son nom du titre de la pièce musicale de Louis Andriessen, Hoketus, qui signifie hoquet et de "Hok", frapper, marteler, en anglais. Pr ailleurs, le Hoketus était une façon de composer au Moyen-Âge, en voix alternées, souvent de façon sophistiquée. Cette technique a été reprise par Louis Andriessen, qui fait jouer deux ensembles orchestraux identiques de part et d’autres de la scène de manière responsoriale.

La chorégraphie d’Alban Richard commence simplement. Les danseurs se rangent sur une ligne face au public et commencent par des mouvements sommaires (se baisser, plier les genoux, ramener les bras…) qui peu à peu se décalent, jouant l’effet de canon en se divisant en deux groupes de six. Jusque-là, rien qu’un procédé, somme toute, assez basique de composition. Mais peu à peu, les réponses musicales entre les deux groupes de musiciens s’accélèrent tandis que la chorégraphie évolue par des « accumulations » qui consistent à ajouter un geste à une séquence avant de la reprendre entièrement, ce qui complexifie à plaisir un motif, pourtant élémentaire. Surgit alors une petite syncope dans cette intrication de gestes et de rythmes, vient perturber notre sensation de symétrie induite par le jeu d’allers-retours entre les deux formations musicales. Le rythme devient implacable, impulsant une gestuelle quasi machinique dans sa régularité sans pitié.

Ce n’est que le début. Plus Hok avance, plus la polyrythmie semble vouloir se jouer de nous. Ça ralentit. Induit un rythme binaire de marche auquel se soumettent immédiatement les danseurs. Ce sont alors les incessants changements de direction et de répartition du groupe qui alambiquent la partition. C’est à la fois très mathématique et très dansant. Or c’est là qu’intervient le fameux hocquet. Subrepticement, le rythme se modifie, ajoute un temps de plus, ou deux tout en divisant la durée… Surgissent alors des tours et des circonvolutions qui tout en ouvrant l’espace du plateau remettent les danseurs sur une ligne perpendiculaire à la première. Se dessine une sorte d’oxymore chorégraphique entre l’ordre et le chaos, l’un étant indissolublement lié à l’autre par la grâce du hocquet, cette faille ou cette absence dans le tissu musical et chorégraphique, qui pourtant donne à l’ensemble toute sa texture et sa saveur. Peu à peu, les lignes et les courbes ressemblent à des heures de vols d’oiseaux condensées en un ballet hypnotisant, les réponses disparaissent pour laisser place à des unissons, des courses, des hordes, des nébuleuses. C’est fascinant, on a l’impression d’être projeté dans les expansions et les rétractions du cosmos, et, après un tour complet des douze danseurs à la file indienne, ils se disséminent comme on se volatiliserait dans l’air.

Cover, d’Itamar Serussi, chorégraphe israélien associé au Danshuis Station Zuid de Tilburg aux Pays Bas, est d’un tout autre style. Cette pièce, créée sur la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz est avant tout très picturale. Son début est une composition visuelle remarquable, avec un cadre quasiment cinématographique. Le traitement de la profondeur, des différents plans qui composent la scène, ajoutent à cette belle occupation de l’espace dans ses trois dimensions. La façon dont se meuvent les groupes, par masses différenciées, est elle aussi très proche du grand écran. De ce fait, se crée une narrativité très particulière induite par la manière dont chaque danseur s’arrime ou s’extrait du groupe, par leur démarche « typifiée » pour chacun d’entre eux.

On retrouve également dans Cover – mais peut-être est-ce dû à ces robes longues, fluides et blanches qui habillent les danseurs sans distinction de genre – une esthétique qui n’est pas sans rappeler la peinture néo-classique, avec ses poses, son attachement à la ligne et ses puits de lumière qui orientent le regard.

Le vocabulaire chorégraphique par contre, surprend dans ce bel ordonnancement. Bien sûr, on peut retrouver une flexibilité du torse qui n’est pas si éloigné de la Batsheva, où Itamar a fait ses classes, mais pour le reste, sa gestuelle semble vouloir d’une part défier l’équilibre naturel et mettre à l’épreuve les tendons par des passages d’instabilité anatomique, d’autre part, casser systématiquement les lignes du classique et mettre à mal sa verticalité… sans jamais la quitter ! Il apparaît alors comme des demi-mouvements, des demi-sauts, des tours à la maladresse affichée. C’est une chorégraphie sans cesse contrariée qui se déploie peu à peu, avec ces mouvements très expressifs mais qui ne signifient rien, une ampleur qui refuse d’aller jusqu’au bout, des tremblements qui entravent le lyrisme attendu.

Une façon, peut-être, de rompre avec le romantisme attendu de cette partition « à programme » et ses passages obligés.

D’ailleurs, les danseurs ne suivent généralement pas la musique. Comme pour ce beau duo d’un garçon en slip jaune et d’une fille en justeaucorps gris d’une poésie subtile.

 

Peu à peu, les danseurs se dénudent, retrouvant de ce fait leur « genre » initial – slip pour les garçons, justeaucorps pour les filles – et, loin de finir en Bacchanale comme le suppose cette Symphonie fantastiqueCover flamboie plutôt de ses derniers feux comme se couche le soleil.

Agnès Izrine

Le 8 mars 2015, Opéra de Nancy

HOK
Conception – Chorégraphie : Alban Richard
Assistant chorégraphique : Max Fossati
Musique : Hoketus, Louis Andriessen interprétée par les musiciens de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction Musicale : Aurélien Azan-Zielinski
Lumières : Valérie Sigward
Costumes : Corine Petitpierre
Répétiteur : Thomas Caley et Valérie Ferrando

Cover
Chorégraphie : Itamar Serussi
Assistant chorégraphique : Luca Cicati
Direction Musicale : Aurélien Azan-Zielinski interprétée par l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Musique : La Symphonie Fantastique, Hector Berlioz
Compositeur : Richard Van Kruijsdijk
Scénographie : Itamar Serussi
Lumières : Ate Jan Van Kampen
Répétitrice : Isabelle Bourgeais

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