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, « Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan »

Aux Rencontres chorégraphiques dans sa création très attendue, Gruwez passe à côté du chanteur américain

Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan. Le titre est limpide, l'intention clairement affichée, sans tromperie aucune, sans effets de manche. Au lieu de trop promettre, cette phrase limpide cache plutôt un sous-texte qui serait: "Lisbeth Gruwez se hisse à la hauteur de Dylan".

Danser sur des chansons ? Certains l'ont fait. Ils ont apporté leur graine chorégraphique à Barbara, Brel ou Baez, à Trenet, aux Frères Jacques ou à la Callas. Avec pathos ou mélancolie, avec humour ou espiéglerie. Ça a fonctionné, plus ou moins bien. Danser sur des chansons, c'est tout un genre, tout un art. Un art à part. C'est comme offrir un poème à un tableau. Autrement dit, l'exercice est périlleux. Si on s'y lance, c'est pour relever un défi, c'est que l'univers musical et l'aura de l'artiste sont des phares, sinon des héros pour de larges parts de la population. On s'adresse donc à une âme d'artiste hors du commun. Ce qui est le cas de Bob Dylan, incontestablement.

Si certains chorégraphes ont réussi à valser avec une œuvre chantée, c'est qu'ils ont de quoi mettre dans la balance. A savoir, une personnalité, une liberté d'invention, une richesse qui leur vient d'une expérience de vie. C'est que leur créativité peut rivaliser avec celle de l'interprète musical. Autrement dit, la danse va apporter quelque chose à la chanson. Elle va la révéler, la faire vivre. Ce n'est pas à l'artiste chorégraphe de demander au cantautore de l'inspirer. Il est là pour soumettre une proposition enrichissante

L'essai post-soixante-huitard de Lisbeth Gruwez a la particularité de rencontrer une star de la chanson qui est encore vivante. Parions que si Dylan était présent sur le plateau, il ne comprendrait pas très bien ce qui lui arrive. Gruwez danse Dylan, mais elle se meut sur les œuvres sans trop en tenir compte. Elle danse ailleurs, elle reste chez elle. Détendue, elle est. Et sa danse ne manque pas de fluidité. Mais cette fluidité-là est celle de la généralité et du lieu commun. Le balancement nonchalant des bras n'apporte rien à la voix rauque du poète-guitariste. Tourner tel un derviche est un contresens flagrant face à un chanteur à la pensée progressiste. Un imaginaire aussi passif peut-il rendre hommage à un monstre sacré de la chanson contestataire ?

De Keersmaeker, Hoghe, Béjart et autres Larrieu... Ceux qui ont su créer un dialogue passionnant avec une personnalité de la musique l'ont réussi parce qu'ils sont eux-mêmes des personnalités. Ils l'ont fait après des parcours à toute épreuve. Ce n'est pas dénigrer Lisbeth Gruwez que de dire qu'avec deux pièces remarquées elle se situe encore au début de son parcours de chorégraphe, et surtout au tout début d'un parcours éventuel avec l'œuvre de Dylan. C'est son complice artistique Maarten Van Cauwenberghe qui vient de susciter en elle un intérêt pour le chanteur, alors qu'elle n'appréciait guère le barde américain. Fallait-il alors lui consacrer un spectacle dans une telle précipitation ?

 

Gruwez fait tourner la machine sans trouver d'accroche. La volonté manifeste de se présenter en convertie pro-Dylan paralyse sa créativité chorégraphique. Pour rencontrer l'esprit de Dylan sur scène, il faut s'en éloigner, pas lui rentrer dedans. Le tableau final et quelques autres moments où elle ne "danse" pas nous rapprochent d'elle et de Dylan, bien plus que toute la mécanique déployée jusque-là. Parce qu'on la voit enfin à l'écoute. Le plus curieux, c'est qu'on trouve spontanément des univers musicaux qui seraient plus en phase avec la modeste proposition chorégraphique rencontrée. Certes, Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan. Mais pourquoi, au fond ? Parce qu’aujourd’hui Dylan chante Sinatra ? Ce n’est pas une raison de le banaliser ainsi par la danse.

Thomas Hahn

Création mondiale les 9 et 10 juin à La Dynamo des Banlieues Bleues, Pantin

http://rencontreschoregraphiques.com/

http://www.voetvolk.be/projects/lisbeth-gruwez-dances-bob-dylan/

 

 

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