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Lia Rodrigues/Carte Blanche : « Nororoca »

Dans le cadre du festival d’Automne, le théâtre de Chaillot vient de présenter, salle Gémier, la pièce historique de Lia Rodrigues, Nororoca (2009), interprétée par Carte Blanche, la Compagnie nationale de danse contemporaine de Norvège.

« Salue les constricteurs / Entrons dans les reptilières / Ouïs l'oie oua-oua les singes hurlent les oiseaux cloches / Vagues du Prororoca l'immense mascaret ».

Guillaume Apollinaire, Pressentiment d’Amérique (1915)

Un mascaret sans fard 

Le mascaret, phénomène naturel provoqué par la vague déferlante de l’océan rencontrant un fleuve, particulièrement violent dans le cas de l’Amazone, a inspiré la pièce à la chorégraphe contemporaine brésilienne. Nororoca décrit le choc de « courants contraires » de manière littérale, avec le calme du doldrum précédant la tempête. La quatorzaine de danseurs, à majorité masculine, rescapés, dirait-on d’un radeau de la Méduse, se délestent bruyamment de leurs hardes et bagages en les projetant sur une rive rêvée côté cour. Autant dire d’emblée que la métaphore poétique, politique, écologique sera dès lors filée, près d’une heure durant.

Galerie photo © Laurent Philippe 

Sans façon, en tenue légère, décontractée et colorée (« venha como você é », disait sans doute l’invitation), sans tambour ni trompette, les percussions corporelles, les cris de cour de récré et ceux de la ferme pour support musical, sans frais de décorum, les jeunes gens et filles, de tout gabarit et de tout poil, s’en sont donc donné à cœur joie avec, ponctuant l’hyperaction, par intermittence, un gel absolu du mouvement – le souffle étant alors coupé net. La danse n’est pas seulement libre, les vagues qui, jadis, motivèrent Isadora, sont plus déchaînées qu’à l’ordinaire. La chorégraphe fait l’économie du vocabulaire du ballet, non de celui du jeu d’enfants.

O rei manda…

Le plus remarquable dans cette œuvre, comme, du reste, dans d’autres opus de Rodrigues, c’est le contrôle avec lequel elle traite de l’univers chaotique. L’énergie individuelle et collective est à chaque instant canalisée, tendue vers un objectif extrêmement précis, utile ou futile d’apparence, titillant le public ce qu’il faut, quelquefois l’agaçant, jamais ne le menaçant. Certains regretteront que la troupe n’exploite pas les accessoires mis au rebut au début. D’autres que les individualités ne soient pas plus mises en valeur dans des solos ou des variations – quoique deux costauds marchent et dansent un assez long moment sur les mains. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Mais ce bouillon n’a rien du brouillon : la forme l’emporte sur l’informe ; le travail groupal s’apparente à de la sculpture à pâte humaine ; la lumière, comme souvent, chez Lia, fait aussi ici son œuvre, les fondus au presque noir contribuent à rythmer la samba. Les danseurs, en âge de voter, retrouvent leur préadolescence. Leur travail est des plus sérieux, qui consiste à mimer deux activités ludiques : le « Un, deux, trois, soleil » et le « Jacques a dit », qu’à Rio on appelle le « Um, dois, três, macaquinho do chinês » et le « O rei manda ».

Nicolas Villodre

 Vu le 10 novembre 2021 à Chaillot- Théâtre national de la danse

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