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Les Rencontres chorégraphiques 2023

38 compagnies dans 34 lieux de 15 villes en Seine-Saint-Denis : Une édition sans relâche ! 

Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis ont toujours été un lieu de découvertes. Mais la deuxième édition conçue par Frédérique Latu donne à cette vocation un tournant plus inattendu et particulier, en invitant de nombreux chorégraphes encore inconnus en France, et souvent pas avec leurs dernières pièces, mais selon un choix plus fouillé, dans une optique autre, comme pour laisser une carte de visite visant plutôt à faire connaître l’essence d’une œuvre, au lieu de jouer sur l’excitation de la nouveauté. Ce qui est toujours le choix le plus facile, le plus marketing. Par contre, présenter une œuvre-clé ou fondatrice traduit un travail plus fouillé et laisse présager qu’il s’agit de se lancer dans une relation durable en commençant par des œuvres-clé qui méritent d’être appréciées par les yeux avides des Parigo-séquano-dionysiens. Et bien sûr par tous les autres.

Clés-d’œuvre

Pour démontrer le principe, commençons par Cocoon Dance, l’une des principales compagnies indépendantes outre-rhénanes. Basée à Bonn (autant qu’à Monthey, en Suisse), elle y structure le paysage chorégraphique sous la direction de Rafaële Giovanola qui vient de remporter le prestigieux Prix Faust pour une création en tant que chorégraphe invitée par la compagnie Tanzmainz (que nous connaissons bien par sa relation privilégiée avec  Sharon Eyal). Giovanola vient aux Rencontres chorégraphiques avec sa propre compagnie et la pièce Vis Motrix, créée en 2018. Depuis, elle en a créé cinq autres ! Mais Vis Motrix  est la pièce fondatrice de sa réflexion actuelle sur l’avenir de la condition humaine et le statut de nos corps, ici dans une hybridation homme-machine aussi fascinante qu’inquiétante, en fusion avec le sol, dans un état au-delà – ou bien en amont – de la bipédie. C’est aussi poser un autre regard sur le krump, l’une des sources d’inspiration de ce quatuor féminin, félin et en même temps robotique. 

C’est un symbole fort que de confier l’ouverture de cette édition à Vis Motrix, dans une soirée partagée avec Reface  du Collectif Les Idoles avec Lise Messina et Chandra Grangean, présenté comme un « effeuillage facial », un solo pour deux femmes pour nous dire que « tout n’est que transition : notre corps, la mémoire, l’environnement social, la flore, les relations amoureuses, les pouvoirs politiques… ». Les chorégraphes ont beaucoup à contribuer dans la réflexion sur le statut futur de l’être humain en tant qu’espèce en transition.  

Entre les deux se glisse en ouverture la Belge Femke Gyselinck avec son solo Erato, sur le parvis du Théâtre Public de Montreuil. Issue de P.A.R.T.S. et collaboratrice d’Anne Teresa de Keersmaeker sur plusieurs projets entre 2010 et 2018, elle va dans ce solo à la source et au fond de sa quête d’une fusion intelligente avec la musique. Que d’autre, direz-vous, après un parcours avec Rosas ? L’occasion est donc là de partir, ultérieurement, sur de bonnes bases pour explorer son œuvre qui s’est considérablement agrandi depuis. 

A la croisée des arts visuels, le duo d’artistes Tumbleweed (Angela Rabaglio et Micaël Florentz) propose des expériences singulières au public. A Very Eye réunit six interprètes et le public dans un même espace sagittal tapissé de moquette blanche, et explore l’apparence furtive et changeante de la foule, aussi fugace et imprévisible dans ses éclats qu’un banc de poissons. Dehors est blanc, un trio en suspension fait référence à un temps cotonneux et sans repères visuels. Mais surtout ce dispositif unique, maintient l’équilibre des danseurs par dix contrepoids, suscite chez l’interprète comme chez le spectateur un état de conscience modifié, une désorientation spatiale s’approchant d’un état d’apesanteur.

La Belgique est très présente avec sept autres chorégraphes invités. Quatre d’entre eux fusionnent la musique et l’expression physique en une seule voix. C’est le cas d’Erato de Femke Geselinck (cf. ci-dessus), de BLESS THE SOUND THAT SAVES A WITCH LIKE ME - CRI(s) de Benjamin Kahn, qui s’attache autant à l’intime de l’urgence personnelle qu’aux luttes collectives, mais aussi de DISQUIET de Lisa Vereertbrugghen, qui explore différents sous-genres de la techno hardcore comme le gabber, le hardstyle, la jungle et la drum’n bass, ou de la Ballade des simples d’Ondine Cloez. Les trois autres jouent la survie face au chaos annoncé, par le réenchantement du monde (Bruno Freire, La vie n’est pas utile), par un humour surréaliste (Loraine Dambermont, Toujours ¾ face !) ou les modifications de nos perceptions. 

Mais c’est aussi le cas de l’Allemande Liina Magnea qui, dans She’s Constructing the Exit Signs (Hope & Delusion), examine la fonction émotionnelle de la comédie musicale, envisagée comme stratégie d’adaptation en période de désespoir et devient le personnage principal d’une fiction où tout est possible ou du Portugais Marco Da Silva Ferreira qui utilise la légèreté de la Fantaisie en fa mineur de Schubert comme un terrain de jeu pour ses deux interprètes rompus aux danses urbaines. Enfin, Yaïr Barelli articule Dolgberg qui confronte la dimension sacrée de l’œuvre de Bach à des univers pop et hip hop: Une traversée du temps, d’autant plus qu’il s’y ajoute une dimension personnelle, puisque Goldberg était également le nom de famille des grands-parents de Barelli, qui ont fui la Pologne pendant la seconde guerre mondiale.

Les séances scolaires sont aussi un volet renforcé des Rencontres chorégraphiques. A savoir, une présence hors des théâtres, dans des espaces extérieurs ou ailleurs, pendant une édition ou bien après : les Extensions. 

La danse en extensions

Et on retrouve cette façon de nous présenter une artiste dans une forme très épurée avec la Norvégienne Mette Edvardsen (à ne pas confondre avec Mette Ingvartsen, même si les deux travaillent à Bruxelles) qui explore son rapport aux objets et interroge la présence des objets et d’autres choses, en investiguant sur le rapport entre le réel, l’espace et le langage. Et là encore, on va aux sources, au lieu de chercher la nouveauté pour la nouveauté. Car les deux solos invités, Black et No Title  datent respectivement de 2011 et de 2014. 

Quant aux extensions, cette édition en cache d’autres, à savoir celles de la danse en tant que matière, quand des matériaux sont au cœur d’une démarche comme dans Tap & Pat de Sonja Jokiniemi où le point de départ est une série de dessins, dans un premier temps convertis en œuvres textiles tissées artisanalement, puis augmentées par des interventions performatives. Ce qui est d’autant plus logique que les œuvres textiles sont des habits faisant référence au quotidien. A noter qu’en même temps, et jusqu’au 13 juillet, l’Institut Finlandais de Paris expose plusieurs œuvres textiles de Jokiniemi qui est, on l’a compris, Finlandaise mais travaille entre Helsinki et Lausanne.

Au chapitre curiosités on ne manquera pas The Ecstatic qui s’empare de la virtuosité des corps en croisant deux pratiques sociales et religieuses : le pantsula d’Afrique du Sud et le praise break pentecôtiste afro-américain, ni IKUEMÄN de Rafael de Paula, qui met la marche au cœur d’une pièce de cirque dans un espace dessiné par cinq mâts chinois :envols acrobaties, danse sont au menu et symbolisent le déplacement humain et ses conséquences sur l’être. 

Une autre façon de créer une rencontre chorégraphique autour de la danse est : le basketball ! Car voilà Charlotte Imbault. Non seulement elle est journaliste et critique de danse autant que chorégraphe, mais en plus elle crée avec Mot pour mot  une œuvre déclarée installation sonore, chorégraphiant à partir d’une rencontre avec l’équipe féminine du club de basketball d’Aubervilliers les apparitions sonores de mouvements et un croisement des pratiques physiques et mentales des gestes du basket et de la danse. 

Une extension chorégraphique, c’est aussi ce que nous propose Nacera Belaza avec Les Sentinelles.2, où elle reprend sa pièce fondatrice créée en 2010 en duo avec sa sœur Dalila. Et elle la recrée avec un groupe de professionnels et amateurs confondus, une dizaine voire plus. Ensuite, on sera curieux aussi de voir Dominique Brun créer sur des musiques de John Cage et des compositions pour la danse d’Eric Satie. Ce qui veut dire que cette grande dame quitte (provisoirement ?) la voie sur laquelle nous l’avions suivie longuement, à savoir la reconstruction d’œuvres nijinskiennes. Il y aura pourtant un lien avec l’histoire, ou au moins les archives, nous dit-on… 

Thomas Hahn

Voir la programmation : Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis 2023

Du 12 mai au 17 juin 2023

Image de preview : The Ecstatic © Philip Frowein

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