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Les promus de l’Opéra : Laura Hecquet

Laura Hecquet a été promue Première danseuse le 1er janvier 2015

Danser Canal Historique : Vous attendiez vous à être nommée Première danseuse ?

Laura Hecquet : Je ne peux pas dire que je m’y attendais, mais ça fait quelques années que j’étais Sujet, je dansais beaucoup en soliste, et j’espérais fortement que ce soit cette année car je commençais à trouver que c’était un peu long à venir. Après ça reste un Concours avec les aléas que cela suppose. Mais disons que tout allait bien, donc c’était envisageable.

Danser Canal Historique : Vous n’en étiez pas à votre premier Concours, est-ce toujours aussi angoissant ?

Laura Hecquet : C’est toujours très difficile. C’est une période où nous avons énormément de travail. Répéter le Concours en plus de nos horaires signifie qu’il faut trouver des créneaux soit tôt le matin, avant le début des cours, soit tard le soir, en fin de journée après les répétitions. Cette année, je l’ai préparé la plupart du temps après 19h. Par ailleurs, plus on danse de rôles de soliste, plus on arrive au Concours avec une pression maximale. C’est-à-dire que l’on est attendu et on crée moins d’effet de surprise que des danseurs que l’on voit moins souvent sur le plateau et qui peuvent, tout d’un coup, faire le buzz, justement parce qu’on ne les connaît pas trop. Donc, je trouve que le Concours, est une rude épreuve. Je n’en ai pas non plus passé tant que ça, c’est le 8e depuis mon entrée dans le Corps de ballet, donc ça va. Certains en sont déjà au 15e ! Mais, on a beau se dire qu’il faut le faire comme un spectacle… Ça n’en est pas un, rien à voir ! Et même avec l’expérience de danser sur le plateau en soliste, même en ayant des responsabilités importantes, ça reste toujours aussi éprouvant. Du coup, je suis ravie d’être enfin débarrassée, parce que c’est la pire période de l’année.

DCH : Vous aviez déjà des rôles de Première danseuse…

Laura Hecquet : J’avais déjà l’emploi, mais le titre est un signe de reconnaissance. Je n’aurais pas aimé rester Sujet toute ma carrière, même si certains disent que ça ne change pas grand-chose, pour moi, la légitimation, c’est important.

DCH : Pourquoi avez-vous choisi comme variation libre The Four Seasons, l’Automne de Jerome Robbins ?

Laura Hecquet : En fait, je m’étais dit que si je ne montais pas cette année, c’était mon dernier Concours. Donc j’avais envie de faire une variation où je me sente libre, une variation de maturité, de mouvement, de musicalité. Et forcément, Robbins apporte tout cela. Il se trouve que je l’avais déjà présentée lors du Concours 2004 et que j’étais montée Coryphée avec elle. Se posait donc la question de refaire la même. De toute façon, j’étais partie sur du Robbins, j’ai un peu hésité avec Other Dances. Mais ça faisait dix ans, du coup, je me suis sentie autorisée à la reprendre.

DCH : Que pensez-vous du choix de la variation imposée ?

Laura Hecquet : Le Cygne noir, j’adore. Quand je suis entrée dans le Corps de ballet, je faisais de nombreux galas hors de l’Opéra. Les cinq premières années où je me produisais à l’extérieur, je dansais toujours le Grand Pas Classique d’Auber, et le Cygne noir. Ensuite j’ai arrêté. Mais quand j’ai vu affichée la variation, ça m’a fait plaisir. Le personnage à interpréter est un vrai soutien artistique, du coup, c’est un peu plus facile, ça permet d’oublier un peu le Concours, l’ambiance stressante.
C’est une variation très ardue, elle contient de grandes difficultés techniques. Donc il faut assumer. Mais ça s’est bien passé. Je trouve même que travailler la libre et l’imposée était assez agréable. Ensuite, le jour du Concours, il faut arriver à les gérer au niveau de la pression et de l’attention.

DCH : Qui vous a coachée ?

Laura Hecquet : C’est toujours Agnès Letestu. Je travaille avec elle depuis deux ans. Elle m’aide non seulement pour le Concours mais également pour tous les rôles en soliste de la saison. J’aime beaucoup travailler avec elle, c’est une vraie rencontre. Déjà sur le plan humain, c’est une femme très généreuse, formidable, et c’est également une grande star de la danse. Du coup, elle m’apporte énormément au plan artistique, sans pour autant négliger les détails techniques, et transmet une grande sérénité, un sentiment d’apaisement. Grâce à elle, je me suis attachée à décrypter le personnage, du coup, tout exercice devient une démarche artistique. Je pense que s’entraîner avec quelqu’un que l’on respecte autant comme personne que comme artiste est capital. Donc c’est une belle aventure et je suis heureuse d’avoir son soutien.

DCH : Quels sont les rôles qui vous ont marquée ?

Laura Hecquet : La Belle au bois dormant que j’ai dansé l’année dernière était mon premier grand rôle, donc ça m’a forcément marquée. Avant j’avais eu des rôles assez importants comme Gamzatti ou Myrta, mais ce n’étaient pas des rôles titres Donc, La Belle, avec Audric Bezard avec qui je danse beaucoup et que j’aime particulièrement, reste un grand moment. Je l’ai répété également avec Agnès et, je suis restée assez sereine, sans doute sous son influence. Ensuite, en fin de saison dernière j’ai interprété la Danseuse en mauve de Dances at a Gathering de Robbins. C’est la première fois que je dansais un ballet de lui à l’Opéra et c’est également un beau souvenir. Et finalement, en tournée à Montréal très récemment, j’ai eu enfin la chance de danser Paquita ! Ça faisait sept ans que j’attendais. En effet, .j’aurais dû danser Paquita en 2007 mais je m’étais bêtement fait une entorse. Les spectacles se sont idéalement passés. Parfois, en répétant, on rêve un peu sur la façon dont ça se passera sur scène. Et là, j’ai vraiment eu l’impression que tout était tel que je me l’étais imaginé. C’est bien tombé car c’était en octobre et le Concours en décembre. Ça m’a donné confiance. J’étais dans de bonnes conditions pour l’aborder.
Ensuite, il y a beaucoup de rôles que j’ai aimé danser. Particulièrement Manon dans La Dame aux Camélias. Je l’avais dansé auparavant, mais avec la maturité, les rôles que l’on reprend ont un autre parfum… Et c’est un rôle de femme. John Neumeier est un chorégraphe dont j’apprécie particulièrement l’univers. Il est très mystique, mais je l’adore et je suis vraiment ravie de participer à sa prochaine création, Le Chant de la terre. Il remarquait que sa dernière création pour l’Opéra, Sylvia, datait d’il y a 20 ans et qu’il voulait vraiment en faire une autre. C’est formidable de partager cette expérience avec lui.

DCH : Y-a-t-il d’autres chorégraphes que vous aimeriez rencontrer ?

Laura Hecquet : Profiter des chorégraphes tant qu’ils sont là est un privilège. Du coup, je regrette parfois de ne pas avoir croisé certains dieux de la chorégraphie qui sont venus ici alors que je n’étais pas prévue sur les auditions. C’est le cas de Forsythe, Kylián, Mats Ek et même Carolyn Carlson ! J’aurais envie de les rencontrer – même simplement pour mieux les connaître. Ça me tient à cœur. J’adore le classique mais créer avec des artistes est une chance inouïe.

DCH : Est-ce parce que vous êtes, justement, classée classique que vous n’étiez pas sur les auditions ?

Laura Hecquet : On m’a souvent attribué des rôles classiques, pourtant j’ai souvent fait la démarche de demander à participer aux créations. Mais on avait besoin de moi sur les ballets classiques. Je souhaite vraiment travailler d’autres styles. De plus, je pense que ça peut m’enrichir énormément – y compris pour le classique.

DCH : Qu’est-ce qui vous a décidée à devenir danseuse ?

Laura Hecquet : Ça s’est fait naturellement. Mes parents faisaient de la musique en amateurs et j’ai été baignée dans cet univers musical. Dès que j’entendais de la musique, je me mettais à danser. Mes parents m’ont donc inscrite dans un cours de danse quand j’avais six ans et j’ai continué. Je ne me suis jamais dit : « je veux être danseuse. » Jusqu’à 10 ans, j’ai vécu la danse comme un hobby de petite fille. J’habitais dans le Nord de la France et mon professeur envoyait souvent des élèves passer des petits concours. Moins pour le résultat que pour nous habituer à faire de la scène. C’est à cause de la dimension « spectacle » que j’ai eu envie d’en faire mon métier. Pour être en scène. Et, à l’occasion d’un stage, un professeur a dit à mon père que j’étais douée et qu’il serait mieux que je vienne à Paris. Du coup, j’ai présenté l’École de danse et.. je n’ai pas été prise ! Et là, cette professeur m’a dit : pourquoi ne pas tenter le CNR ? Pour entrer à l’Opéra, il y a certes le passage par l’École de danse, mais ce n’est pas le seul moyen. Donc je suis entrée au CNR de Paris. Au début, les cours avaient lieu dans plusieurs studios à Paris et en 1996, il s’est installé aux Abbesses. Je suis restée au CNR de 10 à 16 ans puis je suis entrée en 2e division à l’ École de danse. Car après avoir eu mon 1er Prix du CNR j’ai pu demander une audition. À l’époque, la directrice était encore Claude Bessy.

DCH : Est-ce compliqué à vivre d’arriver en cours de cursus ?

Laura Hecquet : Quand je suis entrée en 2e division, je me suis retrouvée avec des filles qui étaient là depuis dix ans. Elles étaient entrées toutes petites, j’avais 16 ans. C’était un peu particulier. L’ambiance, l’intégration n’étaient pas évidentes pour moi. Mais l’avantage, quand on entre tard, c’est que l’on sait pourquoi on est là. J’avais un seul objectif : accéder à la compagnie. D’une certaine façon, on n’est pas dans le même état d’esprit, les copines, l’atmosphère, sont sans doute moins importantes.

DCH : Donc vous ne regrettez pas de ne pas être passée par l’École de danse ?

Laura Hecquet : Si j’avais été prise enfant, j’aurais sans doute eu beaucoup de mal à tenir. À 16 ans, je trouvais le climat pesant, je me sentais enfermée. Je ne sais pas si j’aurais résisté. Au CNR, bien que l’enseignement soit très strict, il y a plus d’humanité. On n’est pas confronté à ce carcan, cette pression. Les professeurs sortent de l’Opéra, donc c’est le même enseignement. Par contre, les camarades de classe ne font pas forcément de la danse. J’allais dans un collège à horaires aménagés, donc les gens avaient forcément une activité mais ça pouvait être du tennis, de la flûte ou du chant. C’était très varié, avec plus d’ouverture sur l’extérieur. Quand je suis entrée à l’École de danse, j’ai trouvé les gens figés, stressés, alors que je venais d’un monde plus détendu. Ce qui m’a permis, je crois, d’avoir un apprentissage de la danse plus libéré.
Il y a quelques années, j’y suis retournée. Et dès qu’on entre dans ce bâtiment, on sent le poids de la pression.

DCH : L'entrée dans le Corps de ballet a dû être un soulagement...

Laura Hecquet : Je suis entrée dans le Corps de ballet en 2002 à 18 ans. J’étais heureuse et soulagée d’être engagée. D’une certaine façon, entrer dans la compagnie est en soi une réussite. Mon rêve était de danser à l’Opéra et nulle part ailleurs. C’était une grande joie de pouvoir danser toute la journée et de côtoyer les Étoiles, les Premiers danseurs, tous les grades unis par un même métier et une même passion. Et j’étais heureuse d’avoir quitté l’internat et d’être autonome.

DCH : Vous n'avez jamais envisagé de quitter l'Opéra ?

Laura Hecquet : Même quand ça m’a paru un peu difficile ces dernières années où je restais « coincée » chez les Sujets et où, forcément, j’avais des moments de doute, je n’ai jamais envisagé de partir. Je crois que je préférais être Sujet à l’Opéra que soliste ailleurs. Ce lieu me fait rêver et malgré les années, être danseuse à l’Opéra de Paris me paraît toujours merveilleux.

DCH : Que faites-vous dans vos moments de liberté ?

Laura Hecquet : Quand j’ai un jour ou deux de libres, j’en profite pour ne rien faire. Quand on a des séries de 25 spectacles, c’est appréciable de rester tranquille, chez soi, on redécouvre son appartement. Car à certaines périodes, comme celle du Conours, on a à peine le sentiment d’habiter chez soi. Je vais de temps en temps voir des spectacles parce que mon chéri est éclairagiste pour plusieurs boîtes de production. Donc quand je peux, je vais voir ce qu’il fait. Ça va de la chanson française au théâtre en passant par la danse… Et j’aime bien aller au cinéma, mais c’est plutôt rare.

DCH : Vous êtes une Première danseuse heureuse, alors...

Laura Hecquet : Je suis heureuse et soulagée. Je pense que la nouvelle direction va donner un nouveau souffle à la compagnie. Je sens une énergie nouvelle depuis la nomination de Benjamin Millepied et surtout il a manifesté le souhait d’être proche des danseurs. En à peine un mois, il est déjà très présent. Même si ça se passait très bien avec Brigitte Lefèvre, une nouvelle direction fait que chacun a envie de se remotiver.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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