« Les Fêtes d’Hébé » à l'Amphithéâtre Bastille
Le Brexit sépare Français et Britanniques, l’Opéra de Paris les réunit. Jamais représenté à Paris depuis 1770, « Les Fêtes d’Hébé », un opéra ballet de Jean-Philippe Rameau, renaît grâce aux efforts conjugués de l’Académie de l’Opéra de Paris, du Centre de musique baroque de Versailles et du Royal Collège of Music de Londres.
Cette dernière institution a dépêché Outre-Manche quelques-uns de ses chanteurs, son Orchestre Baroque et au pupitre le maestro Jonathan Williams. Côté français Christian Schirm, directeur artistique de l’Académie, a composé avec les jeunes talents de son « atelier lyrique » un plateau de choix, et demandé au chorégraphe Thomas Lebrun de réinventer une chorégraphie pour cette œuvre rare, créée en 1739.
Ce dernier a dû jongler avec la double contrainte d’un espace limité - le demi cercle face au public de l’amphi Bastille - et d’un planning de grande maison d’opéra. Dès l’été dernier, il lui a ainsi fallu concevoir le décor, sobre et efficace, d’une production pour laquelle il n’avait encore engagé aucun travail de répétition avec les artistes. Egalement metteur en scène du projet, il a bénéficié de cinq semaines seulement pour donner à cet hommage aux différents arts du théâtre lyrique une unité visuelle, gestuelle et dramatique.
Outre un Prologue, Les Fêtes d’Hébé réunissent en effet trois Entrées disparates dédiées successivement à la Poésie, la Musique et la Danse, chacune incluant deux divertissements chantés et dansés.
"Les Fêtes d'Hébé" © Studio J'Adore Ce Que Vous Faites!
Plutôt que de céder à la facilité consistant à chorégraphier uniquement ces interludes, Thomas Lebrun assisté de Raphaël Cottin a fait de la danse le lien fluide entre les quatre parties de l’opéra. Ses six danseurs, pour la plupart déjà interprètes de ses précédentes pièces, ne quittent quasiment pas la scène et accompagnent en continu, sans trop la souligner, la musique de Rameau.
Le défi essentiel, relevé avec brio, consistait à suggérer de façon sensible cette œuvre baroque sans pour autant en imiter platement l’écriture. Le chorégraphe invente une gestuelle stylisée où alternent les lignes obliques tracées par les bustes et les courbes tournoyantes dessinées au sol par les jambes au son des tambourins. Chaque entrée a sa couleur, bleue pour la poésie, rouge pour la musique et jaune pour la danse, à laquelle s’accordent les tenues des danseurs (le plus souvent de sobres justaucorps et tee-shirts), les costumes des solistes et même les pochettes au revers des vestes noires des choristes.
Thomas Lebrun orchestre les mouvements de ces trois entités dans un jeu de volumes et de déplacements entre les gradins en fond de scène, derrière lesquels un écran diffuse par moments des vidéos de paysages champêtres, et les plots disposés à l’avant. On y retrouve sa maîtrise des ensembles et son sens de la nuance, son goût aussi pour une danse simple bien que non dénuée de subtilité et de références, telles ces nymphes aériennes aux longues tuniques blanches évoquant irrésistiblement les Isadorables d’Isadora Duncan.
Tout en étant pleinement conforme au livret et à l’esprit de l’ouvrage, cette séduisante suite ‘musichorégraphique’ exhale ainsi le parfum rafraîchissant d’une liberté contemporaine, à laquelle le talent et la jeunesse de ses interprètes apporte un charme supplémentaire.
Isabelle Calabre
Du 22 au 27 mars.
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