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Le Programme 1 du CCN-Ballet de Lorraine

Une soirée formidable d’intelligence du CCN-Ballet de Lorraine dirigé par Petter Jacobsson et Thomas Caley, qui met en valeur l’excellence de ses interprètes.

Le Programme 1 est une sorte de manifeste de cette nouvelle saison intitulée Instantly Forever (A jamais l’instantané). Un titre qui définit la qualité intrinsèque de l’art chorégraphique, à savoir inscrire dans la durée de nos corps et de nos mémoires la fugacité d’un instant et d’un geste. Les deux créations, Sierras - Danses atmosphériques de Michele Di Stefano, Songlines de Marco Berrettini se répondent avec une cohérence remarquable, et sont toutes deux un hommage à cette danse insaisissable qui sculpte l’espace de ses chemins invisibles.

Sierras - Danses atmosphériques donne d’emblée le ton avec sa scénographie épurée et pourtant vibratile, comme si l’air pouvait bruire dans le silence. Les vingt-deux danseurs et danseuses, en costumes noir et chair, tracent des gestes comme autant de hiéroglyphes qui soudain peuplent cet espace vacant. Toute la danse est convoquée dans les allées et venues de cette petite troupe qui passe sans cesse de l’un à la multitude et d’accélérations en ralentis qui rendent la gestuelle tout en tours et en jambes, vaporeuse, d’une légèreté inattendue. Le vocabulaire classique y jouxte les fluides spirales de Trisha Brown et les courses post-modernes, ou des figures Cunninghamiennes, mais aussi des mouvements plus actuels, issus du clubbing ou du patinage artistique dans une sorte de grand bazar chorégraphique plus que réjouissant, tandis que les éclairages projettent sur la boîte blanche de la scène des à-plats de couleur flashy soutenus par la musique à la fois pulsionnelle et planante de Lorenzo Bianchi Hoesch.

Galerie photo © Laurent Philippe 

Un homme recouvert d’argile rouge entre, la tonalité change et devient aussi mystérieuse que silencieuse avant que l’énergie du groupe l’emporte, cisèle l’espace comme une dentelle qui découperait le ciel quand les corps deviennent des ombres et l’atmosphère bleuit. D’enchevêtrements en cavalcades, les interprètes se croisant et tissant toujours de nouvelles lignes de fuite, de glissades périlleuses en sauts percutants, de mouvements brisés en précipitations aléatoires, le tout sans jamais se toucher, Sierras - Danses atmosphériques plonge dans les teintes chaudes tandis que la gestuelle s’assouplit et se dégingande comme tentée par sa dissolution dans d’atmosphériques strates.

Marco Berrettini nous dit, pour Songlines, s’inspirer du livre Le chant des pistes de Bruce Chatwin, dans lequel il décrit la vie spirituelle des Aborigènes d’Australie. En fond de scène, on retrouve effectivement ces sentiers presque imperceptibles, ces voies ancestrales connues sous le nom de songlines qui parcourent tout le continent et ouvrent une perspective au plateau. Mais entrent bientôt les mêmes vingt-deux danseurs, en costumes pastel et chaussures brillantes qui se reflètent en mille éclats sur le tapis miroir. Et curieusement, l’on se prend à penser que les chemins invisibles de Berrettini sont ceux de sa mémoire et de sa jeunesse d’ado champion de disco. Accumulant les pas, ceux qui nous font avancer et ceux qui nous font danser, et même ceux qui nous permettent d’aller vers les autres, sur une musique électro aux bpm marqués, la chorégraphie joue de déplacements incessants, et de rapprochements étonnants. Il y a une sorte de lumière qui nimbe toute la pièce et dessine pleins et déliés, tandis que les danseurs et danseuses pris dans une sorte de battement entre expansion et contraction façonnent un espace en perpétuelle mutation. Pas glissés, balancements, rythment cette cette pièce vagabonde. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

Certains moments sont inoubliables, comme ce moon walk infiniment répété, ce carré formé par les interprètes assis ou couchés qui se meuvent en s’évitant selon des trajets complexes, et ce clin d’œil à RainForest de Merce Cunningham (que le CCN-Ballet de Lorraine a déjà inscrit à son répertoire) et aux Silver Clouds, ces ballons argentés gonflés à l’hélium, signés Warhol. Mais au fond, les songlines des Aborigènes nous parlent aussi de cette nature qu’on ampute et que l’on malmène. Une sorte de cloporte démesuré avec une carapace inaltérable en est peut-être l’emblème, sa présence incongrue éclairant d’un drôle de jour l’ensemble de cette création formidable.

En tout cas, ces deux pièces mettent en valeur la plasticité artistique et la technicité hors pair des interprètes du CCN-Ballet de Lorraine au meilleur de sa forme et dont la progression, au cours de ces dernières années, est stupéfiante. A l’heure où sa direction doit changer, on ne peut qu’espérer que sa qualité exceptionnelle soit préservée.

Agnès Izrine

Le 10 novembre 2023, Opéra de Nancy.

Distribution  
Sierras 
Chorégraphie : Michele di Stefano 
Scénographie et lumière : Giulia Broggi
Musique : Lorenzo Bianchi Hoesch

Songlines
Chorégraphie : Marco Berrettini
Musique : Daniel Brandt

Danseurs : Jonathan Archambault, Aline Aubert, Alexis Baudinet, Charles Dalerci, Inès Depaw, Mila Endeweld, Angela Falk, Nathan Garcia, Inès Hadj-Rabah, Tristan Ihne, Matéo Lagière, Laure Lescoffy, Valérie Ly-Cuong, Andoni Martinez, Afonso Massano, Lorenzo Mattioli, Clarisse Mialet, Elisa Rouchon, Céline Schoefs, Gabin Schoendorf, Luc Verbitzky

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