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« Le Malade Imaginaire » de Marie-Geneviève Massé, Vincent Tavernier, Hervé Niquet

La création d'une version du Malade Imaginaire de Molière dans son équilibre initial de comédie-ballet par les compagnies Les Malins Plaisirs de Vincent Tavernier (théâtre), L'Eventail de Marie-Geneviève Massé (danse) et Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet (musique) constituait l'un des temps fort du festival Trajectoires. Pour reposer sur une promesse intenable de reconstitution, la pièce réussit cependant quelque chose d'un peu plus important, redonner sa place à un courant populaire des arts chorégraphiques et lyrique totalement négligés des chroniques officielles.

A peine après qu'a retenti le dernier « Clistérium donnare » d'Argan, après force génuflexions bouffonnes et grands pliés seconde de gnomes matelassés évoquant assez l'Oskar Schlemmer d'un incongru Ballet Triadique bicolore et loin de Beauchamp maître à danser de Louis XIV, tout le public se soulève pour faire triomphe… Certes, on peut croire que Jean -Baptiste Poquelin a peut-être besoin d'un peu de reconnaissance, mais il n'en reste que le succès de cette production commune des compagnies Les Malins Plaisirs, L'Eventail et Le Concert Spirituel provoque un enthousiasme certain quoiqu'il repose sur un tout aussi certain malentendu.

Ce sont trois ensembles bien distincts qui se sont retrouvés pour cette large production du Malade Imaginaire. Pas loin d'une trentaine d'artistes au plateau (sans compter ceux en fosse), plus d'une centaine de professionnels mobilisés pour les décors et les costumes, somptueux et drôlatiques, réalisés par les ateliers de costumes et de décors des coproducteurs…

 Les trois ensembles, le premier de théâtre dirigé par Vincent Tavernier, le second de danse sous la houlette de Marie-Geneviève Massé, et le troisième, orchestre, sous la baguette d'Hervé Niquet ont cherché à retrouver la lettre de la dernière comédie-ballet de Molière, celle durant laquelle il décède (non pas sur scène, mais porté chez lui après avoir fait un malaise durant la quatrième représentation, dans la soirée du 17 février 1673) sans les omissions habituelles qui la prive de ce qui y fait ballet, à savoir la musique et la danse. La lettre donc, car, si les intermèdes laissent leurs traces dans le texte de la pièce – il suffit de prendre une bonne édition même scolaire pour les retrouver – ils sont rarement donnés, exception faite du dernier, la cocasse cérémonie de réception du nouveau médecin par une Faculté de fantaisie, mais dont l'invention verbale permet un jeu de mise en scène fécond. On notera que la part de la chorégraphie dans ces mentions se réduit à peu de chose : « C'est une cérémonie burlesque d'un homme qu'on fait médecin en récit, chant et danse ». On appréciera la précision toute relative des indications portées dans le texte. Et guère plus ensuite : « Entrée de ballet, tous les Chirurgiens et Apothicaires viennent lui faire la révérence en cadence ». Et la suite de même. Pour la maîtresse de ballet qui se trouverait chargée de remonter la chorégraphie, en absence de la partition chorégraphique, la tâche s'avère ardue et plutôt sans espoir puisque, faut-il le rappeler, la technique de notation chorégraphique dite Feuillet (mais largement élaborée par Beauchamp, maître d'icelui) n'a été publiée qu'en 1700 et n'était donc au mieux, vingt-sept ans auparavant, qu’un rêve creux. 

Le malentendu est donc là. La production de ce Malade Imaginaire repose sur une promesse de reconstitution intenable tant il n'est pas, avec ce dont nous disposons aujourd'hui, possible de redonner une version chorégraphique crédible (et il n'est pas même question d'exacte) à ce qui a totalement disparu. Le travail de Marie-Geneviève Massé fut donc de chorégraphe (à savoir de création) qui, à partir d'une partition musicale de Marc-Antoine Charpentier redécouverte depuis une trentaine d'années, créa des danses intégrées dans la trame de l'œuvre.  

Reste que ce n'est pas sans générer un réel déséquilibre et il est à noter l'absence complète du mot de chorégraphe (certes, à l'époque on parle de « composeur de ballet » mais le terme n'y est pas non plus) dans le programme où Beauchamp, s'il est cité une fois, ne l'est qu’en passant et de telle façon que l'on confond son nom avec celui des deux compositeurs historiques qui accompagnèrent Molière, Jean-Baptiste Lully puis Marc-Antoine Charpentier. Pas même l'effort d'une petite notice sur le chorégraphe : comme si l'absence de source devenait source de l'absence ! D'ailleurs, Beauchamp avec ou sans S ? Le Dictionnaire opte pour le premier et le programme (avec wikipédia) pour le second : ce seul point méritait ladite notice manquante… 

Or pourtant, il faut faire crédit à Marie-Geneviève Massé de sa tentative qui pour ratée tant qu'à essayer de retrouver Beauchamp, réussit à faire percevoir Molière et même un peu plus. Car si les gnomes suscités peuvent faire tiquer l'amateur de danse baroque un tant soit peu informé, la scène burlesque où les Archers du guet rossent Polichinelle, truculente et dramatiquement assez gratuite, apporte beaucoup. Il n'y faut guère chercher de beaux développements savants et de gestuelles précieuses et savoir gré à la chorégraphe de s'être souvenue que tout cela vient de la Foire (Saint-Germain ou Saint-Laurent…) Notre histoire si sérieuse de la danse (mais, quoiqu'à moindre dose, du théâtre) aime tant se faire briller aux fastes royaux qu'elle en oublie que le peuple aussi aimait un spectacle de danse qui pour afficher moins d'apparat n'en avait pas moins d'intérêt. Plaisant jusqu'au trivial et combinant à la gestuelle saltatoire l'expressivité de la Commedia dell’ arte, ces ballets populaires, cet art dansé du peuple, laissa encore moins de traces que la danse de Beauchamp sinon qu'il marqua profondément l'histoire sans en être crédité.

Quelques décennies après Molière, la danseuse Marie Sallé vaudra à ce ballet populaire une certaine reconnaissance par influence qu’il aura sur le ballet d'action et l'on peut supposer que le travail de Massé sur les œuvres de Noverre l'aida à penser cet objet étrange, que ces intermèdes inspirés d'une danse du XVIIème siècle qui existait puissamment sans que rien n'indique plus qu'elle existât : la danse théâtrale populaire. Mieux encore l'intermède du « ballet maure dansé par des bohémiens » qui conclut l'acte deux, avec ses fausses bayadères de fantaisie (pléonasme scénographique assumé et d'un drôle indéniable) témoigne de la justesse de l'approche chorégraphique qui, faisant du faux sur la base de l'inexistant, retrouve quelque chose d'une identité profonde.

La réussite du malentendu tient à ce beau mensonge. Non, il n'y a, dans ce Malade Imaginaire, rien qui satisfasse la lettre historiquement informée de la reconstitution sinon une justesse parfaite à son esprit. Molière, et singulièrement dans cet opus donné en période de carnaval et qui se réfère à plusieurs reprises à ces festivités, appartenait à une branche populaire qui avait la gaudriole facile et le pet (autant que le rot) généreux… Cela ne reculait pas devant quelques trivialités bien senties pour peu qu'elles fassent rire. Et avec cet entrelacement de chants, de danses mimées autant que construites et de comédie ou la gestique tient autant que le texte, cette reconstitution restitue mieux qu'une œuvre (ce sur quoi on pourrait discuter, puisque Villegier/Lancelot avaient déjà risqué l'exercice du Malade, en 1990) mais un arbre généalogique. Voici donc l'origine de l'opérette !

Voilà où s'invente ce qui plus tard sera La Gaîté Parisienne et Les Mousquetaires au couvent, voire, la comédie musicale… Voilà ce que l'art savant et volontiers précieux de l'opéra a dissimulé sous un certain mépris de classe ; voilà ce que l'histoire officielle des arts respectables a voulu nous cacher. La grave rupture d'avec Lully ne pouvait encourager Molière à céder quelques éléments de son talent à l'art alors en train de dominer le paysage sous la férule de son adversaire. Il laissa à l'Italien, patron (depuis 1672) de l'Académie Royale de Musique et de Danse, les pompes de l'opéra, et chaussant les godasses de la farce, anticipa Offenbach. 

Pour un malentendu, le bilan de cette réinvention du Malade Imaginaire peut être tenu pour particulièrement heureux. 

Philippe Verrièle

Vu le 22 janvier au Théâtre Graslin, ans le cadre du Festival Trajectoires  

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