« Le jour de la bête » d'Aina Alegre
La chorégraphe catalane enfourche les puissances qui soulèvent les fêtes populaires de son pays. À voir les 26 et 27 avril à l'Atelier de Paris Carolyn Carlson.
Aina Alegre est une jeune femme à très fort tempérament. En position d'interprète, on a parfois déploré que cela déborde dans des excès d'expressivité. La voici à présent chorégraphe (et toujours interprète) d'une vraie pièce de groupe, Le jour de la bête. Et elle y révèle un talent très convaincant dans l'orchestration maîtrisée des puissances déployées par les cinq danseur.ses.
Notons d'emblée que, dans de vifs costumes un brin fifties, intelligemment sexys, une belle circulation dépasse toute crispation de genre, et souffle un air de vibration relationnelle, attentive, entre trois filles et deux garçons. Le jour de la bête est une pièce qui respire large, et brasse profond, animant l'espace avec gourmandise et sans raideur.
Ses trajectoires embrassent volontiers les sorties de salle et dessous de gradins, par boucles amples. Depuis là-dessous, on resssent quelque chose qui gronde, s'accumule, et laboure, avant de gagner l'arène, d'ailleurs poudrée de terre grasse. Le jour de la bête prend ses racines dans les fêtes populaires de Catalogne – d'où est originaire la chorégraphe. Elle y fait écho, en assumant la ferveur d'une communauté qui se célèbre, dans la profondeur et les largeurs, au cours de quelques journées et actions d'exception.
Galerie photo © Laurent Philippe
D'un point de vue dramaturgique, on pourrait reprocher à cette pièce de surtout exposer pareilles puissances, les développer par séquences mises bout à bout, sans parvenir à y tirer des lignes de tension, voire de contradiction qui l'aiguiseraient plus. Cela se ressent particulièrement dans le dernier tiers, où les motifs se succèdent, comme en cherchant la fin.
Mais restent les puissances. Elles sont considérables. Les danses du Jour de la bête trament la contamination qui gagne un groupe humain, et le construit, sans jamais amoindrir l'éclat des personnalités flamboyantes qui s'y engagent. Le son des frappes, aux mains, aux pieds (ici jusqu'aux claquettes) s'hybrident de la sourde composition au long cours de Romain Mercier.
Galerie photo © Laurent Philippe
L'accroche au sol est donc intense, mais pour mieux permettre des envols bondissants, larges et ouverts, porteurs de regards très franchement adressés – aussi bien entre interprètes, très à l'écoute, qu'en direction des spectateurs, sollicités. Les trajectoires en boucles, en grands balayages, inscrivent la trace, composent la trame, démangée par l'envie d'élévation.
Le jour de la bête édifie alors de patientes architectures humaines, au prix du risque, pour ériger graduellement ses figures en effigies. Une électricité anime ce labeur. Il peut s'y révéler aussi, comme raclée, une organicité du rire, de la jubilation. On s'y salit sans crainte. Au total, les danseurs de cette fête métaphorique, relèvent savamment le défi de leur engagement.
Gérard Mayen
Pièce vue en condition de générale, le 25 avril 2017, veille de création, à l'Atelier de Paris Carolyn Carlson.
Représentations tout public les 26 et 27, à 20h30. Atelier de Paris Carolyn Carlson.
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