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Le cinéma par la danse, Hervé Gauville

Paru début janvier aux éditions Capricci, spécialisées dans le cinéma, cet ouvrage invite à (re)découvrir nombres de films « chorégraphiques ».

Pour raconter les liens entre le cinéma et la danse, Hervé Gauville ne se contente pas d’évoquer les titres qui viennent immédiatement à l’esprit des balletomanes cinéphiles, de On achève bien les chevaux à Cabaret ou au plus récent Black Swan. Articulé en dix chapitres plus une coda (sic !), son essai offre le bonheur de retrouver nombre de films oubliés ou peu connus que, à la lumière de son analyse subtile, l’on a instantanément envie de voir ou de revoir.

Parmi les interférences mises à jour entre les deux arts, « le film de danse étiqueté comme tel » ne tient pas en effet le rôle principal. L’auteur s’attache plutôt à faire émerger un « cinéma de la danse » qui place au premier plan « l’écriture du mouvement ».

Son livre s’ouvre ainsi sur l’inattendue sirène Esther Williams, inventeuse du « solo aquatique »,  dont les fascinantes évolutions au fond des piscines seront servies par les techniques de prises de vue et de montage les plus virtuoses. L’occasion de ressusciter  la vidéo Waterproof sur le ballet éponyme de Daniel Larrieu (exécuté en 1986 dans une piscine d’Angers), mais aussi la séquence de La vie est belle, de Capra, où les deux héros finissent leur charleston sous l’eau.

Au fil des pages, on croise évidemment Chaplin et sa danse des petits pains (dans La Ruée vers l’or) dont certaines figures, entre sissonnes et grands jetés, sont littéralement celles du langage académique. Mais aussi le solo inaugural de Mother de Bong Joon-ho (l’auteur de Parasite), la transe africaine immortalisée dans les documentaires de Jean Rouch, la performance incandescente de Daïnah la métisse, héroïne du film du même nom de Jean Grémillon, ou le corps déhanché de Joséphine Baker autour duquel la caméra tisse « de fulgurantes variations plastiques », dans Princesse Tam Tam d’Edmond T. Gréville.

Rita Hayworth, inoubliable Gilda, a droit à un chapitre entier – il n’en fallait pas moins pour analyser savamment l’iconique scène du gant et comprendre « comment la danse atteint ici un paroxysme qu’aucun autre film jamais n’égalera ». Elle est ici comparée à Loïe Fuller interprétant Salomé et même à Martha Graham, dont on apprend que enfant, Rita, avait joué avec elle... Gauville ne craint pas non plus d’établir un parallèle entre la « marche sensuelle » de l’actrice et la « marche conceptuelle » de Lucinda Childs, ni de nous faire rêver avec un projet, qui n’a pas vu le jour, où Rita devait incarner… Isadora Duncan !

On retrouve aussi les fameuses scènes de bal, populaires ou aristocratiques, de quelques chefs d’œuvre du 7e art : Casque d’or, Le Guépard et sa caméra tourbillonnant au rythme de la valse, ainsi que celle du méconnu Picnic de Joshua Logan, « démonstration stupéfiante des pouvoirs de la danse ». De la poitrine de l’acteur masculin William Holden, on passe à Torse de Merce Cunningham filmé par Charles Atlas, et on se souvient de la danse des lanciers exécutée par les personnages des Dubliners, le film testamentaire de John Huston adapté de la nouvelle de Joyce.

Dans cet enchevêtrement de références et de regards, ce sont paradoxalement les biopics de danseurs célèbres qui s’avèrent les moins surprenants, de Lola Montès (Max Ophuls) à La Danseuse de Stéphanie Di Giusto (sur Loïe Fuller) en passant par l’Isadora de Karel Reisz ou le Valentino de Ken Russel avec Noureev dans le rôle titre. Toutefois, on y apprend l’existence d’un film consacré en 1967 par Bo Widerberg à Elvira Madigan, une danseuse de corde suédoise immortalisée par la pellicule. Les deux longs métrages sur Pina Bausch (par Wim Wenders et par Chantal Akermann) ne sont pas oubliés, ni les actrices-danseuses Élina Labourdette, « dont la biographie rejoint celle de son personnage » dans Les Dames du Bois de Boulogne de Bresson, et qui fera plus tard une apparition dans Lola de Jaques Demy, ou plus loin dans le passé Valeska Gert, à l’affiche de La rue sans joie de Pabst et de Nana de Renoir.

De correspondances immédiates en chemin de traverses, Le Cinéma par la danse chemine donc avec talent au gré de nos mémoires ciné-chorégraphiques. Le parcours se clôt sur « un film dans la danse », Le Grand Bal de Laetitia Carton, superbe ovni réalisé autour du Grand Bal de l’Europe, qui rassemble chaque année en Auvergne deux mille amateurs et professionnels de danse venus de toute l’Europe pour réinventer et interpréter des contredanses villageoises. Une leçon de danse, et de cinéma.

Isabelle Calabre

22€, 176 pages, diffusion Harmonia Mundi.

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